Fanny Britt et Isabelle Arsenault : Le livre en renfort

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Quand la vie vous tourne le dos, l’imaginaire devient un salut. Rassemblées autour d’un roman graphique, Jane, le renard et moi, premier dans leurs parcours d’auteure et de dessinatrice, Fanny Britt et Isabelle Arsenault plongent dans la tête d’une fillette victime d’intimidation, sauvée par la force résistante de Jane Eyre.

La célèbre héroïne du chef-d’œuvre de Charlotte Brontë a bel et bien porté secours à Fanny Britt quand, vers l’âge de 10 ans, l’auteure dramatique a connu un épisode de rejet social. Prolifique au théâtre (elle signait Bienveillance, pièce mise en scène par Claude Poissant cet automne à l’Espace Go), ayant aussi signé des livres pour enfants, Britt a senti que ce récit n’appelait pas la scène. « C’est une histoire que je porte depuis vingt-cinq ans, en bonne partie fondée sur une période de solitude sociale que j’ai vécue à l’école, raconte l’auteure, qui a choisi le roman graphique pour coucher son récit sur papier. Jane Eyre était pour moi un modèle d’indépendance. J’y vois un discours féministe de la part de Charlotte Brontë, qui parle d’un accomplissement en dehors de l’apparence. Mon roman raconte l’histoire d’un dur apprentissage, de trouver sa voix, une force, un courage. L’héroïne, comme moi, le trouve dans la littérature, qui m’a aidée à me projeter dans le grand. »

Non dénué d’humour, le roman suit le parcours cahoteux d’Hélène, une jeune écolière mal dans sa peau qui subit les moqueries et l’exclusion de ses congénères, mais se réfugie dans la littérature. Ses malheurs, rapportés en noir et blanc, cèdent alors leur place à des échappées dans le monde parfait et réconfortant de l’héroïne victorienne, qui s’ouvre sur de belles pages colorées. Ce choix de joindre deux approches graphiques différentes s’est imposé à l’illustratrice dès le départ. « Je voulais que l’histoire de la petite fille qui se cherche, fragile et effacée, soit en noir en blanc, représentée par un trait incertain et plus dur, explique Isabelle Arsenault. Quand on entre dans son livre, j’ai utilisé l’aquarelle. C’est coloré, fluide et idéalisé. Hélène aspire à avoir un peu de cette beauté, de cette joie de vivre. »

Un match parfait
Fanny Britt se dit ravie par ce que le dessin d’Isabelle Arsenault a ajouté à son histoire, avec ses découpages, son rythme, ces petits détails qu’elle découvre encore sur la page. « Quand j’ai vu les esquisses, j’étais déjà émue, avoue-t-elle. C’était mieux que ce que j’avais dans ma tête.Isabelle est allée puiser dans son propre imaginaire, ses souvenirs à elle des années 1980-1990 et c’est vraiment un mélange de nos sensibilités à nous deux. Dans les romans graphiques, il y a une espèce de nostalgie, de mélancolie, un rythme particulier à cette écriture-là, un souffle un peu lent et on est vraiment immergés. Parce que c’est dessiné, on est plus près d’une certaine vérité que quand c’est filmé ou incarné par des acteurs, parce que ça reste très proche de l’imagination. Il y avait un match esthétique parfait pour moi », conclut Britt.

À l’instar des autres œuvres du genre, Jane, le renard et moi ne s’adresse pas qu’à la jeunesse, bien au contraire. L’auteure et la dessinatrice empruntent le point de vue de la fillette de 10 ans, mais sa petite victoire sur l’intimidation rappelle la pression sociale contre laquelle luttent aussi les grandes personnes. « Je m’interroge beaucoup sur l’image corporelle et ce que ça peut avoir de toxique dans notre époque, explique Britt. Je ressens encore fortement cette intimidation fabriquée en grande partie par les médias. Le livre raconte l’histoire d’une petite fille, mais il y a beaucoup d’adultes qui vivent cette obsession-là. » Quand Hélène rêve d’être « brillante, mince et sage » comme Jane Eyre, on s’étonne de cette référence au corps, mais la réplique est cohérente avec le discours de la fillette. « On est toujours avec elle, de son point de vue à elle, souligne l’auteure. Hélène en a pour des décennies à vivre un combat avec son image. Ce que je voulais montrer c’est deux portes qui s’ouvrent : la porte de l’amitié et la porte de l’évasion par la littérature, mais elle n’a que 10 ans. Il fallait que ça soit toujours à hauteur de 10 ans. » L’ère victorienne, réputée pour son austérité, se pare ainsi de fleurs et de couleurs. « Jayne Eyre, c’est toujours un peu sombre et lugubre, mais je voulais qu’il y ait de la couleur parce que nous sommes dans l’imaginaire d’Hélène », explique Arsenault, qui a un attachement naturel pour cette époque.

En entrant dans le monde de cette fillette rejetée, chaque lecteur est renvoyé à ce que notre société a de dur, de complexe et de cruel, parfois. Les arts et la littérature viennent alors en renfort nous rappeler l’universel combat.

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