Louane, âgée de 14 ans, est passionnée par la danse, activité au cœur de sa vie et seul domaine dans lequel elle croit avoir du talent. Son monde s’écroule quand elle fait une crise de panique lors d’un spectacle et arrête complètement de danser. Elle passera alors son temps à la bibliothèque où elle fera la connaissance de Théo, qui lui fera voir les choses autrement. Ma vie de gâteau sec, le premier tome d’une trilogie, met en scène l’adolescence, ses tourments et ses apprentissages, grâce à des personnages attachants et authentiques. Discussion avec son auteure, libraire chez Pantoute, à Québec.

Comment est né le projet de cette série?
Mon premier moyen d’expression est le théâtre. J’ai toujours eu l’impression de vivre dans un show qui dure à l’infini. Le genre de spectacle sans budget, où Voldemort se bat sans arrêt contre Passe-Partout. J’avais envie de raconter l’histoire de Ma vie de gâteau sec depuis longtemps, mais c’est comme si je n’arrivais pas à voir Louane en 3D, sur scène. Ça faisait déjà quelques mois que j’étais devenue libraire jeunesse et une petite boule de confiance s’est créée dans ce nouvel environnement, jumelée avec mon grand besoin de m’exprimer; j’ai essayé le roman.

Le personnage de Louane découvre qu’elle a un trouble anxieux. Pourquoi avez-vous eu envie de parler de ce trouble?
Je vis moi-même avec un trouble anxieux depuis l’adolescence. L’élément déclencheur du roman, Louane qui fait une crise d’angoisse sur scène devant des centaines de personnes, m’est réellement arrivé. J’ai lâché du jour au lendemain mon programme de danse-études. J’ai alors passé tous mes après-midi à la bibliothèque à me faire juger par la bibliothécaire qui passait clairement ses soirées à boire le sang des étudiants en retenue. Je n’ai malheureusement pas eu la chance d’avoir un Théo qui apparaît de e part pour m’aider à comprendre ce que je vivais. À partir de là, j’ai quitté l’autofiction pour faire évoluer Louane (mettons que dans mon cas, j’ai appris à vivre avec l’anxiété une miette de chips à la fois).

Vous parlez aussi du consentement. Quels sont les principaux défis lorsqu’on écrit sur ce sujet?
Autant j’ai trouvé ça naturel d’en parler, autant j’ai dû tout de même me poser des questions pour m’assurer de ne pas dépasser une certaine ligne. Selon moi, il faut démystifier la sexualité dès le primaire avec les jeunes. Il faut nommer, partager et rendre naturel tout ce qui entoure le corps, oui, mais aussi parler de relation et de respect. Je pense que le défi en soi est de ne pas être trop graphique dans la description. Et après, si on a de la chance comme moi, de merveilleux et merveilleuses profs créent des fiches pédagogiques pour leurs élèves. Le dialogue peut alors commencer.

Qu’est-ce qui vous inspire dans l’adolescence?
Tout! Autant je ne voudrais jamais y retourner, autant une partie de moi n’arrive jamais à s’en sortir. L’adolescence, c’est cru, grand, fou… Dans cette période, je riais aux larmes au moins une fois par jour pour une niaiserie. En même temps, c’est flou, lourd et frette. Je pouvais écouter la même chanson 54 fois sans comprendre pourquoi ça me faisait pleurer.

Vous mettez en scène des personnages différents, par exemple Théo qui ne semble pas cadrer dans l’enseignement traditionnel. Était-ce important pour vous de présenter d’autres modèles?
Oh, oui! Mes parents sont des humains incroyables parce qu’ils ont élevé trois enfants qui ne se sentaient pas à leur place dans le système scolaire. Dans le cas de mes frères, la seule manière que la direction semblait être capable de gérer leurs différences, c’était en les isolant davantage par des retenues et en les faisant doubler sans arrêt. On peut être brillant et ne pas être capable d’être assis dans une salle de classe. Bon… depuis ce temps, les méthodes d’enseignement se sont adaptées, c’est important de le nommer. Dans mon cas, c’était comme si l’école diluait mes forces et amplifiait mes faiblesses. J’ai passé à travers grâce à des profs dévoués et à l’écoute. Tout ça pour dire que je pense qu’il faut voir encore et encore des personnages comme Théo qui choisissent d’autres avenues.

Vous avez effectué une résidence d’écriture pour la relève avec Première Ovation, ce qui a vous a permis de travailler avec l’écrivaine Martine Latulippe. Comment avez-vous trouvé cette expérience?
C’était inimaginable! Martine est une femme extrêmement humaine et touchante. Dès notre première rencontre, je me suis dit : « OK… cette personne a confiance en moi. » C’est rare. En plus de tout ça, comprendre que le comité de sélection de la Maison de la littérature a pris le risque de me choisir m’a beaucoup touchée. Je parle ici de risque parce que je sais qu’il y a encore une idée préconçue à l’égard de la littérature jeunesse. Comme si c’était une sous-littérature, que les auteurs et les autrices avaient moins de vocabulaire, moins de talent. Plusieurs pensent encore que la littérature jeunesse est un moyen d’apprendre le métier pour éventuellement faire son entrée dans la cour des grands. Pourtant, ça prend une sensibilité et une grande connaissance de notre langue pour savoir comment dire aux jeunes à quel point ils sont brillants.

Vous êtes libraire à la librairie Pantoute. Quel effet cela vous fait de voir votre livre en librairie? Est-ce que ce travail nourrit votre écriture?
C’est tellement étrange! Je vois les gens prendre mon livre, j’entends les commentaires sur la couverture, le résumé. Mais pour l’instant, j’ai de la difficulté à dissocier mes deux métiers. J’ai eu la chance d’être formée par Vicky, l’ultime libraire jeunesse qui raconte chaque histoire comme si elle l’avait vécue. Grâce à elle, j’ai plongé tête première dans une littérature forte et marquante. Tellement marquante que d’une certaine manière, j’ai aussi eu accès aux lacunes Plus je lisais, plus les parents me parlaient de leurs enfants anxieux, plus je sentais qu’il manquait quelque chose. Il existe des ouvrages qui parlent de santé mentale, mais souvent de manière plutôt sombre. Effectivement, par grands ou petits moments ça l’est, mais une personne qui vit avec un trouble anxieux n’est pas condamnée à la noirceur. Je voulais en parler avec force, mais surtout avec humour. L’humour, ça rassemble. Ça rend tout le monde plus humain et j’aime ça.

Comme Ma vie de gâteau sec est le premier tome d’une trilogie, pouvez-vous nous révéler quelques détails des deux prochains tomes?
Le tome 2 débute dans la nouvelle école de Louane. Changer de lieu et recommencer à zéro lui donne l’impression de reprendre un certain contrôle sur sa vie. Elle pense aussi que le fait qu’elle a arrêté la danse va complètement la libérer des crises d’angoisse. Théo et Louane apprennent à se connaître différemment dans ce tome. Mais qui dit nouvel environnement, dit nouvelles amitiés, nouveaux garçons… J’ai aussi voulu élargir le thème de la santé mentale. Louane va tranquillement réaliser qu’elle n’est pas la seule au monde à vivre avec ça.

Photo : © Éva-Maude TC

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