Élise Gravel, Michèle Marineau et François Gravel: Sainte tribu

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Il était une fois une petite fille qui aimait inventer des histoires rigolotes. Son papa adorait voir créer celle qui suivait ses traces, ça le rendait si fier. La femme de ce dernier, qui n’avait rien d’une cruelle belle-mère, se sentait si inspirée qu’elle pouvait donner libre cours, elle aussi, à ses élans créateurs, sans jamais se sentir menacée ou envieuse... Rencontrer Élise et François Gravel ainsi que sa douce, Michèle Marineau, la gentille belle-maman d’Élise, c’est entrer dans un « anticonte » de Walt Disney où équilibre mental, entente et écoute font belle figure.

Eux, en matière d’histoires pour enfants, disons qu’ils s’y connaissent plutôt bien. Cumulant les succès en librairie, adorés des petits lecteurs (et des grands aussi), récipiendaires de nombreux prix littéraires prestigieux, invités dans les écoles de partout à travers la province, traduits en différentes langues et respectés dans les médias, l’auteure et illustratrice Élise Gravel (Jessie Elliot a peur de son ombre, La clé à molette, Monstres en vrac), son père adoré François Gravel (« Klonk », Granulite, « Les histoires de Zak et Zoée ») et sa conjointe Michèle Marineau (Cassiopée, La route de Chlifa, La troisième lettre) ne sont plus inconnus dans le milieu des lettres québécoises et encore moins dans son secteur jeunesse.

Des mondes à part
Si la plus jeune des trois illustre aussi bien qu’elle écrit dans une forme ludique, colorée et sensible à la fois, le second, qui se dit piètre dessinateur, préfère pour sa part inventer des personnages qui marquent l’imaginaire des jeunes par leur authenticité et leur répartie au moyen de textes qui allient humour et intelligence. Se distinguant des deux autres dans son approche créatrice, la troisième, qui s’estime la plus lente du groupe en matière d’écriture, aborde avec habileté des sujets délicats, souvent durs, voire tabous, avec une lucidité et une imparable humanité. « Je pense effectivement qu’on se complète bien, c’est l’impression que ça me donne et c’est nourrissant de se côtoyer avec nos manières différentes d’aborder les histoires et l’imaginaire de l’enfance », remarque François Gravel.

« Oui, et vous n’avez pas rencontré les autres membres de la grande famille! », ajoute Michèle Marineau qui paraît heureuse de faire partie d’une aussi belle tribu reconstituée comprenant les deux enfants de François, les deux fillettes d’Élise âgées de 10 et 7 ans, ainsi que ses propres enfants à elle, qui, comme ceux de son amoureux, sont dans la trentaine. « Et tout le monde s’entend super bien! », précise Élise. « Oui, et on a même une petite-fille qui aime beaucoup écrire, elle aussi! », déclare, tout fier, grand-papa François.

D’un salon à l’autre
C’est dans un salon du livre que tout a commencé pour le couple marié depuis quatorze ans. François s’était approché du stand où Michèle faisait des dédicaces et lui avait raconté à quel point sa fille avait adoré son roman Cassiopée. « Moi aussi, j’avais lu ce qu’il faisait et je le trouvais tellement talentueux! », complète l’écrivaine qui a longtemps été réviseure et traductrice avant de se mettre à l’écriture d’un premier roman jeunesse pour « laisser une trace », notamment. Entre les deux, on le devine, la chimie a opéré si bien qu’une histoire d’amour est née et perdure depuis. D’ailleurs, à voir leur complicité, impossible d’en douter.

« C’est vrai que j’avais lu le roman de Michèle et que j’avais aimé ça », se rappelle Élise, qui, déjà toute jeune, aimait plonger dans le monde des lettres, flirter avec d’autres univers fantastiques ou réalistes, comme ceux qu’imaginait son père à qui elle donnait d’incroyables défis de conteur quand venait le temps de lui raconter une histoire. « Ah, ah, ah! Oui, Élise me demandait par exemple d’inventer un conte dans lequel il y aurait un diamant, une grotte et une princesse! », se remémore François. « Et c’était bon : il réussissait toujours », note sa fille. Pas surprenant qu’il en soit à son centième roman de publié!

Les délires des uns, la gêne de l’autre
Même au restaurant, au beau milieu d’un repas de famille, l’inspiration peut gagner François et l’entraîner, avec Élise au passage, dans des délires de jeux de mots et de poèmes fous qui ont d’ailleurs inspiré à son auteur Voyage en Amnésie, un livre illustré par Virginie Egger et paru en 2005.

Avec sa fille aux illustrations, celui qui a commencé sa carrière comme enseignant d’économie au collégial a publié la série « Le guide du tricheur», dont le premier tome, Les jeux, est sorti en 2012 et le second, L’école, l’année d’après. « Parfois, quand on se retrouve toute la gang, on s’excite comme des enfants et, Michèle, elle a honte de nous! », déclare Élise. « Oui, mais qu’est-ce que vous voulez, moi, je suis la sérieuse. C’est comme pour l’écriture : je veux trop être parfaite. Je suis forcément moins dans le plaisir. J’aimerais devenir vieille et sage », rétorque belle-maman.

C’est aussi elle, la « sage », qui dresse actuellement l’inventaire de toute la flore de l’île aux Grues, la dernière contrée où a habité et peint le célèbre Riopelle et où le couple a fait il y a quelques années l’acquisition d’une résidence secondaire pour passer des jours heureux, seul ou en famille. Bien qu’ils soient rarement réunis tous en même temps, quand enfants et petits-enfants entourent François et Michèle, c’est la fête, à l’île! Chacun quitte alors sa table d’écriture et, ensemble, ils viennent se consacrer aux amours de leur vie… avec « sagesse ». « Oui, parce que nous, on n’est pas de party, on aime être plates. », tranche en riant l’auteure du Grand Antonio qui a rendu hommage à cette légende québécoise avec humour dans un livre jeunesse qui lui est consacré.

« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, on ne parle pas vraiment de littérature quand on est tous ensemble. Par contre, on se prête des livres, certains titres font même le tour de la famille », déclare Michèle. Ils lisent tous, y compris les « non-littéraires », qui ont réussi professionnellement et qui cultivent curiosité et ouverture d’esprit.

Titres communs
À l’exception de Catherine, la fille de Michèle, qui est journaliste, ils habitent tous le quartier Rosemont à Montréal. Fort pratique, donc, pour échanger des livres. Parmi ceux qui ont circulé, tous genres confondus, notons Les deuxièmes de Zviane, Le dérèglement du monde d’Amin Maalouf, Le théorème du homard de Graeme Simsion, des romans de Bill Bryson, etc. « Chez nous, le livre est aussi normal dans le décor qu’un verre de lait », soutient François, conscient de la chance qu’il a d’appartenir à une famille où la littérature est si valorisée. Aussi, seul une soixantaine d’écrivains gagnent leur vie de leur plume au Québec, et il appert que ces trois auteurs font partie du lot, même si le marché du livre jeunesse demeure restreint. Des lecteurs qui les connaissent et qu’ils visitent lors de leurs tournées dans les écoles, les auteurs parlent à bâtons rompus, tantôt émus, tantôt concernés, mais toujours motivés par l’espoir de voir les jeunes s’allumer à la vue d’un de leurs livres. « Ici, on a la chance d’avoir une liberté d’expression, mais on n’a pas le droit d’écrire n’importe quoi ou de les désespérer avec des sujets qui briseraient leurs espoirs; donc, non, on ne peut pas parler de tout aux jeunes. »

Malgré la notoriété, la confiance ou l’expérience de chacun, ils se lisent toujours entre eux, estiment leur travail respectif, se soutiennent et mesurent aussi la chance qu’ils ont de faire ce qu’ils aiment, d’en être épris et d’écrire, surtout, pour les enfants qu’ils étaient ce qu’ils auraient aimé lire. « Ça peut tomber à zéro du jour au lendemain, tout ça. On en connaît à qui c’est arrivé », déclare François. Les trois touchent du bois, en pensant aussi, bien sûr, à la saine tribu qu’ils forment avec sérénité, démentant tous ceux qui croient au mythe de la famille d’artistes qui s’entredéchire au fil des gloires et des défaites. Longue vie, donc, à cet équilibre dont les bienfaits émanent, et parviennent jusqu’entre les mains d’une jeunesse qui promet.

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