Ode à la nature et à l’écoute de l’invisible, l'album Trèfle, dont les illustrations à l’aquarelle et à l’encre de Qin Leng nous transportent dans des contrées sylvestres, porte un message : ralentir pour écouter sa voix intérieure. Trèfle, une mignonnette qui, comme ses nombreux frères et sœurs, porte la salopette et le chapeau en forme de cacahouète, s’aventure dans les bois à la suite de Pivoine, sa chèvre. Mais, à chaque étape, les questionnements affluent : par ici ou bien par là? Remettre l’oiseau dans son nid ou le laisser là? L’autrice Nadine Robert, également fondatrice de Comme des géants, pousse ainsi le petit lecteur, un pas à la fois, vers l’autonomie.

Trèfle peut se lire comme une ode à la nature : on y voit de grands chênes, une rivière bien vivante, un renard peut-être affamé, des champignons qui poussent ici et là. Quel rapport entretenez-vous avec la forêt, avec ces lieux où votre personnage, la charmante Trèfle, s’aventure?
L’un des grands plaisirs que me procure l’écriture, c’est de pouvoir imaginer des lieux et des univers qui m’émerveillent et qui me sortent de mon quotidien. Trèfle est en grande partie une ode à la nature, aux territoires plus sauvages qui nous entourent et qui, personnellement, ne cessent de me fasciner. J’ai voulu donner à la nature une grande place dans cet album et lui donner un rôle bienveillant et enveloppant. J’ai toujours hâte de me promener en forêt, parce que c’est l’écosystème où je me sens le mieux.

Est-ce que, comme Trèfle, il vous est difficile de faire des choix, car toutes les options semblent parfois intéressantes?
À la différence de Trèfle, je ne suis pas une personne qui hésite ou qui envisage toutes les options possibles avant de faire un choix. Cela dit, à l’origine de l’histoire, il y a une réflexion plus sérieuse sur la prise de décision. Je me suis demandé et j’ai observé comment les gens autour de moi exerçaient leurs choix : en identifiant leurs désirs, en faisant le vide en eux, en écoutant leur intuition ou en suivant les conseils des autres. J’ai aussi constaté que les gens étaient souvent angoissés par leurs décisions, qu’ils avaient peur de se tromper, de regretter, ils avaient peur du risque ou de l’échec. J’ai pensé qu’il en était de même pour les enfants et que ce sujet allait les interpeller, les toucher. Prendre une décision, ce n’est pas toujours facile même pour un enfant.

De tous vos ouvrages, celui-ci semble celui dont la morale est la plus explicite : écouter la voix de son cœur. Pourquoi souhaitiez-vous partager ce message avec vos petits lecteurs?
Il est vrai que mon intention semble clairement explicitée dans la conclusion de l’histoire. Un peu à la manière d’un proverbe. J’ai longtemps tergiversé sur cette phrase finale. [rires] Dans l’histoire, Trèfle emprunte à peu près tous les chemins avant de prendre une décision : en demandant autour d’elle, en inspirant profondément, en réfléchissant longtemps, en suivant son intuition, en écoutant sa tête ou son cœur… Pour finir, je pense que j’ai voulu répondre à la question que je me suis posée en commençant l’écriture de cet album. Sur quoi devrions-nous fonder nos décisions? Même si « écouter la voix de son cœur » peut paraître réducteur, mièvre et moraliste, c’est le fruit de ma réflexion personnelle sur le sujet. Et puisque ce constat me confortait, j’ai souhaité le partager avec les petits lecteurs, malgré son côté moralisateur. L’image de « la voix du cœur », c’est une métaphore ou un concept que les enfants peuvent comprendre. Je n’allais pas parler de Hume, de Spinoza, de Sartre, de pulsion, de phénoménologie du désir et d’inconscient. [rires, encore] Par ailleurs, les décisions à prendre au quotidien ne sont pas toutes morales ou très importantes, mais elles demeurent, d’une façon ou d’une autre, individuelles et subjectives. Je crois sincèrement que le mieux, c’est de s’écouter soi-même, de respecter ses valeurs et son éthique personnelle quand vient le temps de prendre une décision.

Votre album est divisé en chapitres, dont les questions orientent à la fois le lecteur et les pas de Trèfle. C’est assez inusité pour le format qu’est l’album. Mais comme on l’a vu, vous n’hésitez pas à faire les choses à votre façon (un livre géant avec Le petit livre pour les géants; une maison d’édition nommée Le Lièvre de Mars qui fait dans la réédition de classiques internationaux et une division, Milky Way Picture Books, qui a pour objectif de faire rayonner en langue anglaise les merveilles que vous dénichez, etc.). Brasser les idées reçues et faire les choses autrement, c’est dans votre nature, ou est-ce, au contraire, un travail acharné de votre part?
Dans chacun de mes projets d’album, j’essaie d’explorer les différentes formes que peut prendre l’écriture. Ça peut être des contraintes que je m’impose, des exercices de style, c’est parfois plus formel ou conceptuel, mais j’aime essayer de nouvelles choses. Dans Trèfle, il y a un travail sur le rythme. La structure du récit, les répétitions et l’ajout de chapitres sont des éléments qui m’ont permis de donner un rythme à l’histoire. Il y a un début lent, une montée, des temps d’arrêt, des silences, des temps forts et des temps faibles, un peu comme dans la musique. Je ne sais pas si c’est quelque chose que les lecteurs pourront percevoir, mais pour moi, c’était intéressant de m’amuser avec ça.

Pour ce qui est de faire les choses autrement, je ne sais pas. Je me perçois comme une personne qui aime faire des projets de livre, tout simplement. J’essaie de proposer ou dénicher des albums qui apportent quelque chose de nouveau, d’original, avec une « légitimité » ou une valeur littéraire et artistique. Mais cela reste très subjectif. Ce n’est pas un travail acharné. Pour moi, créer des livres, c’est un plaisir renouvelé. Il y a toujours de nouvelles avenues à explorer, de nouveaux artistes à publier, de beaux objets à fabriquer et de nouveaux enfants avec qui les partager.

Comment s’est déroulé le travail avec la talentueuse illustratrice Qin Leng?
Qin Leng est une artiste au talent et à la sensibilité remarquables. Collaborer avec elle est un immense bonheur. Quand j’ai reçu ses premières aquarelles, j’ai senti qu’elle avait eu beaucoup de plaisir à illustrer cette nature grandiose. Elle a su traduire toute sa beauté et sa splendeur. Qin est l’illustratrice qui fait les plus beaux scénarimages que j’ai vus. Ils sont si beaux, qu’ils pourraient être publiés. D’ailleurs, dans Trèfle, je lui ai proposé qu’on se serve de ses premières études pour le projet pour habiller les planches chapitres et les pages de garde du livre. Ces premières images, réalisées à l’encre de Chine, étaient tellement jolies, que j’ai voulu les inclure dans l’album. C’est aussi une façon de mettre en valeur le travail de préproduction qui se fait dans la réalisation d’un album.

Qu’est-ce que votre passé de conceptrice de jeux vidéo et de scénariste de films d’animation laisse comme trace dans vos œuvres actuelles?
C’est le monde du jeu vidéo qui m’a amenée à l’écriture. Imaginer un « storyline », des tableaux, des activités ou faire interagir des personnages dans un jeu vidéo, ça se fait d’abord à l’écrit. Avant d’être programmé, modélisé et animé, tout est scénarisé et détaillé par écrit. D’ailleurs, je me définis davantage comme scénariste que comme autrice. Je vois mes histoires en images, dans un premier temps. Je vois le découpage, le style, les atmosphères et même l’objet livre. Par la suite, j’écris le manuscrit. C’est un processus presque inversé par rapport à d’autres auteurs. Mais ce n’est pas une déformation professionnelle, ça me vient naturellement comme ça. J’adore le langage de l’album, qui est proche du cinéma d’animation. Il manque le son et le mouvement, certes, mais je m’inspire beaucoup du cinéma dans mes albums. Quand je scénarisais des animations, je rêvais d’édition. Aujourd’hui, je rêve de faire de l’animation. Ce n’est pas incompatible.

Photo de Nadine Robert : © Julia Marois
Illustrations tirées du livre Trèfle (Comme des géants) : © Qin Leng

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