Danielle Chaperon publie des ouvrages destinés à la jeunesse depuis une quinzaine d’années. On l’a lue poétique dans Ma tête en l’air (Fonfon), hilarante dans L’épouvantable histoire de l’ogresse qui ne mangeait que les enfants sages (La courte échelle) et cocasse dans Les ouï-dire (Fonfon). Cette saison, on la lit profonde dans Te laisser partir (Comme des géants), un album où une fillette attrape (littéralement) un arc-en-ciel et comprendra tranquillement pourquoi, malgré tous ses efforts, il perd son sourire. Ce petit personnage au fond d’un bol est attachant comme tout et, comme la protagoniste, le lecteur saisira que, parfois, il faut apprendre à dire au revoir.

Le message qui subsiste après la lecture de votre album est que, lorsqu’on aime, on doit apprendre à laisser partir. Pourquoi vous a-t-il semblé important de livrer cette (grande) réflexion à des lecteurs d’un jeune âge?
Parce que c’est la vie. Les êtres vivants ne nous appartiennent pas. Ils peuvent nous accompagner, longtemps ou non, être là, tout près, mais c’est tout. Et c’est déjà beaucoup. Enfant, j’étais très attirée par toutes sortes de bestioles. J’étais gardienne d’un zoo grouillant de bourdons, de grenouilles et autres curiosités. Je m’en occupais avec sérieux, sans grand succès toutefois. Mes ouailles dépérissaient souvent à vue d’œil ou déguerpissaient sans demander leur reste. Il m’a bien fallu accepter, un jour, qu’elles étaient mieux sans moi. Ce fut une leçon de bienveillance mais aussi d’humilité. Laisser partir un être qu’on aime est contre-intuitif. C’est une blessure. Un deuil. Nous voulons tant nous sentir indispensables.

Vous avez été enseignante au primaire. Qu’est-ce que les jeunes ont appris à l’autrice que vous êtes devenue et qui vous est précieux à chaque nouvelle création?
Je dirais que mes élèves m’ont appris à capter l’air du temps et à rester à l’affût de ce qu’ils vivent, à l’école ou à la maison. Ils m’ont appris à être à l’écoute. Avec tous mes sens. Certaines de mes histoires mettent de l’avant des émotions complexes que les enfants peuvent parfois ressentir. Je cherche ainsi à les valider, à leur montrer qu’elles sont légitimes. Ces histoires-là sont une main tendue, une invitation à apprivoiser, en douceur, les défis de la vie en famille, et en société.

Quels sont les plus grands défis qui se présentent à un auteur lors de la rédaction d’un album jeunesse?
J’aime associer la création littéraire à la sculpture. L’idée de départ, l’étincelle, c’est le bloc d’argile. À moi ensuite de la modeler et d’en faire quelque chose de valable, de pertinent. À moi de choisir l’angle, la posture. Les nuances. En cours de route — ça ne rate jamais et c’est parfait ainsi —, le doute s’installe. Ce que je suis en train d’écrire répond-il à mon intention de départ? Est-ce du remâché, du déjà fait, du déjà lu mille fois? Me suis-je égarée en chemin? Ce qui n’est pas toujours une mauvaise chose — les chemins de traverse révélant parfois davantage qui nous sommes, intimement, comme créateurs et créatrices. Pour moi, le plus gros défi est d’amadouer le doute, et d’oser, malgré tout.

Le personnage de l’arc-en-ciel est anthropomorphique : il a un visage, des pieds, porte une salopette bleue. Aviez-vous le tout en tête lors de la rédaction de votre histoire ou est-ce une touche amenée par l’illustratrice?
J’imaginais un petit personnage, bien sûr, mais pas « humain » à ce point. L’idée du garçonnet avec des cheveux en arc-en-ciel est géniale, à mon avis. Elle est le fruit du formidable et foisonnant travail d’édition de Nadine Robert et d’illustration de Nathalie Dion.

Illustrations tirées du livre Te laisser partir (Comme des géants) : © Nathalie Dion

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