Anne Bernard-Lenoir : Semer des graines d’utopie

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Il fallait oser et Anne Bernard-Lenoir l’a fait : les personnages de sa série dédiée aux jeunes ont des vieux os, une mauvaise vue, une ouïe parfois déficiente, une mémoire qui laisse à désirer et les cheveux blancs. Oui, ce sont des vieux, tout ce qu’il y a de plus charmants!

Ainsi, ils sont trois, trois vieux dégourdis qui aiment la vie et qui arpentent les couloirs de leur maison de retraite afin d’y résoudre diverses énigmes (qui a volé l’horrible toile La joue ronde?; pourquoi des poupons débarquent-ils par dizaines dans le gymnase de la résidence?; qui est l’étrange inconnu qui erre dans le verger?). Ces couloirs conduisent vers un aquarium, une bibliothèque, un gymnase, une cuisine collective, un atelier, ou même vers l’extérieur, là où le grand air, des jardins, un étang, un marécage et une mini ferme les attendent. Oui, ils ont la chance d’habiter la Patoche, la plus utopique des résidences pour personnes âgées.

Mais publier une telle série n’a pas été facile. Si elle a d’abord essuyé moult refus de la part d’éditeurs, Anne Bernard-Lenoir maintenait son point et refusait catégoriquement de changer ses personnages en enfants ou, selon certaines suggestions, en souris! « C’est une question d’identification pour les lecteurs. Les vieux, ça ne plaît pas aux jeunes », a-t-elle reçu comme commentaire. C’est donc peu dire sur la place qu’on réserve aux aînés lorsqu’on croit qu’une souris est un meilleur modèle qu’une ancienne gymnaste en fauteuil roulant…! Qu’à cela ne tienne, c’est Québec Amérique qui joua d’audace en publiant « Les pensionnaires de la Patoche » tel quel. Lorsqu’on la questionne sur ce choix de personnages, l’auteure s’explique : « Ce fut assez naturel pourtant, pour moi, de choisir des personnes âgées comme personnages. Qu’ils soient jeunes ou âgés, on s’attend que ce soit des héros sympathiques, dynamiques, curieux, imparfaits. Et, avoir des personnes âgées, ça permet de faire intervenir dans le récit des éléments rigolos! ». Elle ajoute cependant qu’il ne s’agit pas de romans sur la vieillesse, bien au contraire : « Avant tout, ce sont des romans d’enquête! ».

Géographie interne
Anne Bernard-Lenoir possède une maîtrise en urbanisme ainsi qu’un diplôme en géographie. On ne s’étonne donc pas que la première chose qu’elle ait faite lors de l’élaboration de son histoire fut de dessiner un plan de la Patoche : « Je voulais bâtir un espace sécuritaire et aéré, qui corresponde à mes idéaux architecturaux », explique celle qui a relevé le défi avec brio. Tellement, qu’on se surprend à espérer déménager dans une telle maison de retraite rapidement! Mais, bien entendu, une telle résidence n’existe pas et l’auteure cache difficilement son espoir de voir un jour un jeune lecteur, inspiré par ses romans, devenir un riche architecte pouvant mettre en œuvre cette utopie. « J’ai écrit ces romans avec le désir de faire évoluer les choses. C’est un peu à cela, aussi, que sert la littérature. Un outil de réflexion, des pistes d’exploitation ».

Celle qui prend comme prétexte ses livres pour discuter avec les jeunes du sort accordé aux personnes âgées dans notre société est surprise de constater à quel point ses lecteurs y sont attentifs, réceptifs, empathiques. Elle a même organisé des activités de lecture, en bibliothèque, où les jeunes se sont présentés par cinquantaines, accompagnés de leurs grands-parents, « sans parents qui font écran entre eux », ajoute-t-elle. Ensemble, ils se questionnent, observent et réfléchissent sur la vie en résidence. Un pas de plus, assurément, vers une meilleure communication et un plus grand respect intergénérationnels.

 

Crédit photo : © Martine Doyon

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