Cachés au fond d'une nuit sans lune, les loups ont déserté la forêt. Mais comme ils ont amené avec eux leurs histoires, Petite Fille et Vieille Ourse partent à leur recherche afin de les accueillir à nouveau près d'eux. Avec Le chant des loups (Albin Michel Jeunesse), Alice Liénard, Québécoise d'adoption, présente un magnifique conte au langage poétique. Entrevue avec la créatrice.

Faire revenir les loups. Voilà la quête de vos protagonistes. Cependant, dans les contes traditionnels et même dans les plus contemporains, la figure du loup est plutôt celle que l’on fuit et non celle qu’on rappelle. Ce choix de votre part est donc à la fois original et intéressant. Était-ce un choix conscient?
L’idée du loup comme animal qui ancre la communauté de la forêt dans la vie, dans la beauté – mais aussi dans la mort –, l’image du loup comme nécessaire au bon vivre-ensemble, m’est venue instinctivement, je ne me suis pas questionnée sur ce que devait être sa place. Pour moi, c’était naturel qu’il soit le ciment de l’histoire. Je pense qu’il en est ainsi parce que j’aime les loups tout simplement et que c’est ma fascination pour eux qui m’a influencée plus que le fait qu’il soit une figure patibulaire et dangereuse dans l’imaginaire collectif.

Vous avez travaillé aux éditions de La courte échelle, puis avez été du lot des cofondatrices de la maison d’édition Monsieur Ed. Pourquoi choisit-on de faire le saut du monde de l’édition vers celui de la création en tant qu’auteure?
J’ai tout simplement décidé de suivre enfin une envie et de faire tomber les barrières et les excuses que je m’étais créées et qui me retenaient d’écrire. Lorsque j’y pense, je me dis aussi que je n’étais peut-être pas prête avant, que l’écriture est venue lorsqu’il était temps pour elle d’émerger. Je peux être très rapide pour exécuter certaines tâches, je suis assez rapide pour certaines choses, mais d’autres me prennent plus de temps, comme l’écriture (ou apprendre à conduire, mais c’est une autre histoire). Il fallait que ça mûrisse, à son rythme, à l’intérieur de moi, avant que ça sorte. Certaines choses me prennent vraiment du temps, c’est souvent celles qui m’amènent à me réaliser personnellement, ou encore celles qui m’amènent à grandir.

En quoi votre expérience préalable d’éditrice vous a-t-elle été utile lors de la rédaction de cet ouvrage?
Je pense avoir été capable de repérer certains tics d’écriture et de voir aussi que le rythme de l’histoire se tenait, de proposer un découpage du texte. Mais pas plus que ça, je ne pense pas qu’avoir été éditrice garantisse de réussir à écrire un livre. Le travail littéraire avec Lucette Savier, alors éditrice chez Albin Michel, était nécessaire, elle a porté un regard extérieur sur le texte et elle m’a accompagnée dans le travail du texte. Grâce à elle, j’ai pu porter le texte et ma voix plus loin.

Vous demeurez à L’Isle-Verte, lieu que bien peu de gens peuvent se vanter d’habiter! Votre histoire se passe notamment dans les bois. Y a-t-il un lien à faire entre les lieux d’où vous avez créé et ceux dans lesquels on plonge dans Le chant des loups? La forêt de votre livre est-elle inspirée par une forêt près de chez vous?
En fait, j’ai écrit Le chant des loups à Montréal. Je ne vivais pas encore à L’Isle-Verte lors de l’écriture. Je vis dans le Bas-Saint-Laurent depuis seulement un an (pour préciser, je ne suis pas sur l’île appelée L’Île Verte, mais sur le continent, dans un rang pas très loin du village de L’Isle-Verte).

La forêt du livre est beaucoup de choses, je pense. Elle est sûrement inspirée par le fait que j’aime la forêt, je m’y sens apaisée lorsque j’y suis. Par exemple, chaque fois que je vais dans la forêt du Parc Côtier Kiskotuk, près de chez moi, c’est tout simplement un pur bonheur. J’ai même l’impression de pénétrer dans un autre monde. C’est particulier à Kiskotuk d’ailleurs, parce que les autres forêts ne me font pas cet effet. Je m’y sens bien et j’ai toujours l’impression d’entrer dans un lieu sacré lorsque j’y vais.

Les forêts de mon enfance m’ont sûrement inspirée aussi. De même que le ciel du Nord. Les forêts de mon enfance sont sûrement quelque part en moi. Je pense qu’on garde en soi beaucoup de choses de l’enfance, qu’elles nous imprègnent d’une certaine façon. Il m’est arrivée d’être émue aux larmes par l’odeur d’un thé, parce que son odeur terreuse me rappelait l’odeur de la terre du Nord de la France. Mais la forêt du Chant des loups, c’est aussi peut-être une forêt rêvée, fantasmée, que je façonne à l’idée que je me fais de la forêt. Cette forêt est multiple, elle est peut-être même le résultat des lectures que j’ai pu faire. Qui sait?

Le travail sur la langue, dans votre album, est très puissant. On voit d’ailleurs rarement une telle approche dans la production livresque contemporaine. Votre conte possède un vocabulaire riche, des structures innovantes, une sonorité créatrice. Pourquoi avoir choisi cette approche pour vous adresser à des enfants? Est-ce d’abord la langue qui a porté votre texte, ou l’histoire en tant que telle?
Je ne me suis pas questionnée sur la langue. Les mots sont venus tout seuls, ils m’ont portée. Les mots et l’histoire sont venus ensemble, ils vont de pair, ils sont indissociables pour moi. Comme lectrice, je suis très sensible aux mots d’un texte, à la façon dont une histoire est racontée, à sa petite musique, au charme qui s’en dégage. La lectrice que je suis se reflète aussi dans la créatrice, du moins en partie!

Vous êtes originaire de France, vous demeurez au Québec depuis 2005 et vous êtes éditée en France, sous la prestigieuse enseigne d’Albin Michel Jeunesse. Quelle est la petite histoire derrière le choix de cette maison d’édition? Pourquoi celle-ci, et pas une au Québec, par exemple? Qu’est-ce que cela vous ouvre – ou vous ferme – comme portes?
Lorsque j’ai décidé de proposer Le chant des loups à des maisons d’édition, j’ai tout simplement fait une liste des maisons avec lesquelles j’avais envie de travailler, mais aussi avec lesquelles je pensais que l’album s’intégrerait bien dans leur catalogue (déformation professionnelle, hi hi). J’ai soumis le texte en France et au Québec. Et c’est en France, chez Albin Michel, qu’on m’a manifesté de l’intérêt. Ça fait partie du jeu, un éditeur travaille ce qui lui parle et c’est bien normal.

Être édité en France ouvre des portes, je ne pense pas que cela en ferme, bien au contraire. J’ai la possibilité d’être lue en France et au Québec vu qu’Albin Michel est distribué ici. De plus, c’est un éditeur bien établi alors c’est sûr que cela aide aussi à avoir de la visibilité. C’est un privilège.

Après, ce qui va faire la différence, ce sont les libraires. Un libraire qui aime un livre ça peut avoir un effet domino. J’ai moi-même été libraire et je me souviens que mes conseils pouvaient avoir un certain impact auprès des lecteurs et des lectrices.

Comment s’est déroulé la collaboration avec Marine Schneider (qu’on découvrait d’ailleurs l’hiver dernier chez Monsieur Ed en tant qu’auteure et illustratrice, avec l’album Hiro, hiver et guimauves), qui illustre avec beaucoup de talent votre histoire? Avez-vous assisté à l’élaboration des personnages de sa part ou avez-vous plutôt découvert ses illustrations une fois le tout terminé? Comment avez-vous réagi?
J’ai découvert Marine il y a quelques années avec les albums Je suis la vie et Je suis la mort qu’elle a illustrés. À l’époque, j’étais déjà tombée en amour avec elle. Et je le suis restée! J’ai d’abord reçu les esquisses du livre qui m’ont époustouflée et ensuite, j’ai vu par-ci par-là quelques-uns des finaux. Je faisais confiance à Marine les yeux fermés. Lorsque toutes les illustrations ont été terminées, j’ai reçu le fichier avec beaucoup de fébrilité. J’étais très émue et impressionnée. Un album, c’est un Tout. Le dialogue entre le texte et les images est important. L’histoire se lit avec les mots qui la portent bien sûr, mais elle se raconte aussi en images. Les illustrations ne font pas que compléter le texte et l’histoire, elles les portent et les amènent aussi ailleurs. Juste le travail d’ombre et de lumière dans les illustrations, est une langue et une histoire en soi!

Vous avez également été libraire jeunesse. En quoi cela a-t-il stimulé l’écrivaine en vous? Qui sont vos auteurs jeunesse favoris?
D’avoir été en contact pendant plusieurs années avec une grande diversité de livres a sûrement aidé. Ce qui a sûrement aidé aussi ce sont les amitiés qui y sont nées ainsi que les coups de cœur et coups de gueules qu’on a partagés entre amis. Le travail de libraire a affiné aussi mon esprit critique et a stimulé mon appétit livresque. Avec les livres, je souffre de FOMO, c’est atroce, j’achète plus de livres que je ne peux en lire. Mais même non ouverts encore, ils me nourrissent – dit la fille qui se cherche des excuses pour continuer à acheter.

Sinon, du côté de mes auteurs et autrices jeunesse favoris, il y en a tellement. C’est un mélange d’auteurs et d’autrices et d’illustrateurs et d’illustratrices, en fait.

Je vais d’abord mentionner Charlotte Gingras. Elle a non seulement été mon premier contact avec la littérature québécoise lorsque je suis arrivée au Québec, mais elle aussi été très importante dans mon parcours de lectrice et même plus.

Après, je vais citer dans le désordre : Marie-Aude Murail, Michel Noël, Delphine Durand, Kitty Crowther, Isabelle Arsenault, Susin Nielsen, Komako Sakai, Anne Brouillard, Timothée de Fombelle, Ramona Badescu, Wolf Erlbruch, Marianne Dubuc, la liste est trop longue!

Après ce ne sont pas forcément des auteurs et des autrices que j’ai en favoris, mais parfois un livre en particulier. Je pense à La maison penchée de Kathy Appelt (Milan) qui est malheureusement épuisé et qui est d’une très grande force littéraire, ou encore Les contes de la chatte rouge d’Élisabeth Vonarburg (Trampoline) ou Pas raccord de Stephen Chbosky (Sarbacane), L’ombre de Malabron de Thomas Wharton (Trécarré), L’arbre tombé d’Hélène Vachon (Québec Amérique), Hubert-Leonard de Bénédicte Froissart (Boréal), la série L’Atlas d’émeraude de John Stephens (Milan) ou encore l’hilarant La mutante et le boxeur de Marthe Pelletier (La courte échelle) et la série Pavel de Matthieu Simard (La courte échelle).

Je pourrais continuer à citer plein de titres de romans ou d’albums qui me sont très importants, tant en jeunesse qu’en adulte. C’est une histoire sans fin de parler des livres qu’on aime…

En complément : lisez notre portrait de la maison d’édition Albin Michel Jeunesse.

Photo : © Martin Forgues 

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