Véronique Cardi : Tour du monde avec escales

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Jeune, joviale, professionnelle et bourrée d’intuition, Véronique Cardi, directrice littéraire de la maison d’édition française Les Escales, dévoile les dessous de la traduction dans le milieu éditorial. Sa ligne directrice? Faire voyager ses lecteurs en misant sur les auteurs de demain.

À vocation cosmopolite, Les Escales invitent à de multiples pérégrinations non pas dans les lieux touristiques faussement exotiques, mais dans ces ambiances dépaysantes qui permettent l’évasion. En traduisant des auteurs qui écrivent sur leur propre contrée, Les Escales s’assurent de faire sillonner le lecteur dans des rues encore méconnues. Et ça marche, puisque, en guise d’exemple, pas moins de 370 000 lecteurs se sont jetés sur L’île des oubliés de Victoria Hislop!

Esquiver la tour de Babel
Véronique Cardi, qui a d’abord travaillé chez Philippe Rey, Belfond et Seuil, parle – et lit – la langue de Shakespeare et celle de Günter Grass. Cependant, elle n’est pas polyglotte pour autant. Ainsi, comment procède-t-elle pour dénicher des petites perles dans des langues qui lui sont méconnues? « Pour l’italien et l’espagnol, j’ai des lecteurs en qui j’ai confiance et qui travaillent avec moi depuis longtemps. Sinon, par exemple pour l’hébreu, j’ai une amie israélienne qui m’avait recommandé Tel Aviv Suspects, car cet auteur [Liad Shoham] était en tête des best-sellers dans son pays depuis cinq livres. » Ainsi, puisque le choix de livre s’appuie sur des recommandations, il s’agit, chaque fois, de braver l’intuition : « En littérature étrangère, c’est ça qui est excitant : on se lance littéralement dans des paris! » Des paris, qui, pour la maison lancée en janvier 2012 et qui cumule déjà de beaux succès, sont tenus.

Concrètement, une fois qu’un livre recommandé a capté son intérêt, l’éditrice demande une note détaillée sur le livre, afin de cerner l’intrigue, puis elle commande un échantillon de traduction – les trente premières pages du roman –, pour juger du style, de la langue et du rythme. Si elle aime, elle propose le mandat à un traducteur qui sera à l’aise avec le style. Par exemple, une fresque historique demande un traducteur qui a beaucoup de souffle, et elle s’assure de donner le contrat à la meilleure personne.

Mais il n’y a pas qu’une façon de faire. Des paris, certes il y en a, mais il arrive aussi que madame Cardi juge par elle-même : « Le russe est beaucoup traduit en allemand. Ainsi, de lire cette langue me permet de considérer des titres en entier! » Il existe également des extraits en anglais de romans dans d’autres langues, ainsi que ces grandes foires internationales, Francfort et Londres, où agents littéraires et éditeurs se rassemblent, pour discuter ventes de droits. « J’ai découvert Quand la lumière décline, un roman allemand, à la foire de Londres, en rendez-vous avec l’éditeur qui en avait un extrait en anglais, que j’ai lu le soir même à l’hôtel. En rentrant, j’ai directement fait une offre sur le roman, après en avoir lu la totalité en allemand! »

Les livres traduits sont-ils nécessairement des best-sellers dans leur pays? « On le voudrait, mais comme on achète souvent des livres en amont, avant qu’ils ne soient publiés dans leur propre pays, on ne peut pas forcément s’appuyer sur le succès de vente, avoir ce recul. Par exemple, Quand la lumière décline n’était pas encore publié en Allemagne lorsque je l’ai acheté, alors que le Victoria Hislop était déjà un best-seller dans le monde entier, mais personne ne l’avait encore jamais acheté en France! »

Peut-être verra-t-on un jour un auteur québécois publié aux Escales puisque, « même si la langue est la même – et encore, ce n’est pas exactement la même! – le cadre est tout à fait différent! », dit l’éditrice en riant, de passage au Québec en pleine tempête de neige, alors que la température est de 25 C en dessous de zéro…

 

NB : Au moment de mettre sous presse, nous apprenions que madame Véronique Cardi délaissait son poste d’éditrice aux Escales pour celui, homologue, au Livre de Poche. Ses propos et sa façon de procéder quant à ses choix d’œuvres traduites n’en restent pas moins pertinents.

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