Sophie Divry : Tribulations d’une chômeuse qui tire le diable par la queue

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Depuis son premier roman, La cote 400, l’auteure française prouve qu’elle sait renouveler son originalité et innover sur le plan formel. Avec Quand le diable sortit de la salle de bain, elle raconte les aventures, désolantes mais joyeuses, d’une jeune écrivaine qui peine à mettre du pain sur sa table (quoique le pain soit l’une des rares denrées qu’elle puisse encore s’acheter). Un roman digressif à souhait, savamment écrit et bien dosé d’humour. Parce qu’après tout, le diable, il sait faire la fête!

Pourquoi avoir voulu écrire un roman « résolument joyeux» sur le chômage?

Il y avait deux désirs forts à l’origine de ce livre. Tout d’abord, importer dans un roman quelque chose de l’ordre de la nécessité économique, de la dèche. L’héroïne du livre reçoit des factures, cherche un emploi, souffre de la faim, je décris tout cela — et ce n’est pas particulièrement drôle. Toute l’inventivité, les personnages, les jeux, les typographies viennent du désir parallèle de me permettre littérairement tout ce que je voulais, sans contrainte. Si le livre paraît comique, c’est donc avant tout qu’il est libéré. Comme si à la fermeture des possibles économiques de l’héroïne répondait une ouverture des possibles littéraires.

 

Votre héroïne s’appelle, comme vous, Sophie et est également auteure. Quelle part de vous y a-t-il dans ce personnage?

Comme dit Raymond Federman, « Je est un outil (si Rimbaud pouvait entendre ça il dirait : Ah oui, c’est vachement mieux que je est un autre) » : en créant un personnage de « Sophie », écrivaine fauchée à Lyon, je laisse croire que cette histoire est autobiographique, ce qui déclenche un effet de réalisme et de curiosité (un peu apitoyée, un peu malsaine, mais empathique). C’est ainsi un bon « truc » littéraire de se transformer soi-même en personnage de fiction. Mais je vous rassure : je n’ai pas six frères, et le diable ne m’est jamais apparu!

 

La condition pavillonnaire, votre précédent roman, est entièrement écrit au « tu ». Quand le diable sortit de la salle de bain possède quant à lui bon nombre de digressions rigolotes (calligrammes, mises en abyme, néologismes, bonus en fin de roman). Peut-on affirmer que vous vous amusez beaucoup en faisant éclater les normes du roman contemporain?

C’est le second désir dont je parlais : m’amuser, dans le sens de ne rien m’interdire. J’étais sous l’influence des écrits du peintre Jean Dubuffet, très libératoires, et des romans tels que Salmigondis de Gilbert Sorrentino et Amer Eldorado de Raymond Federman. Ces livres sont de vrais délires, des feux d’artifice porteurs d’une vitalité et d’une liberté qui m’a été très féconde. Ils rompent avec un certain esprit de sérieux qui veut nous faire croire que l’art est quelque chose de grave qu’il faut manipuler avec déférence. M’inscrivant pour ce livre dans cette tradition, je me suis permis au contraire d’être potache, foutraque, excessive, car cela libère l’imagination et les formes. « La littérature est une fête » comme disait Valéry.

 

Photo : © BB

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