Philippe Besson : La Mort d’une étoile

63
Publicité
Alors que l'on célèbre le 150e anniversaire de naissance d'Arthur Rimbaud avec moult publications autour de cette figure mythique de la poésie, Philippe Besson publie un roman poignant à propos des derniers jours du poète. Narré par la sœur de ce dernier, Les Jours fragiles constitue le portrait intimiste d'un épisode méconnu de la vie Rimbaud, mort à 37 ans. Habitué à disserter sur le thème du deuil, l'écrivain français nous offre de partager les brèves retrouvailles de deux membres d'une famille qui se connaissent peu. Comme dans Son frère, dont l'adaptation cinématographique prend l'affiche cet automne au Québec, Philippe Besson met en scène des personnages qui, confrontés à la mort, répondent par une envie irrépressible de vivre et, comme dans le cas de Rimbaud, de brûler jusqu'au dernier souffle. Discussion avec un écrivain généreux, sensible et (excessivement) talentueux.

Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre avec la prose de Rimbaud, considéré comme un poète, malgré les libertés qu’il a prises ?

J’ai rencontré Rimbaud à 16 ans, à l’école. Contrairement à celle de plusieurs auteurs qu’on n’avait pas le choix d’étudier, son œuvre a été pour moi un choc violent. Une rencontre avec l’inintelligible, en quelque sorte. Vous sentez que ça vous touche, que les mots ont un pouvoir sur vous et que, pour autant, vous ne les comprenez pas forcément tous. Pour un adolescent, il y a énormément de choses à découvrir chez Rimbaud, à commencer par sa jeunesse, son génie et sa fulgurance, qui peuvent laisser un très forte impression.

Et vous le lisez toujours ?

Depuis cette rencontre, Rimbaud ne m’a plus jamais quitté. Il m’accompagne en permanence. Il était donc normal que je veuille en savoir plus sur lui. J’ai lu un grand nombre de biographies et j’ai découvert qu’il s’agit en fait d’un personnage de roman ! Imaginons, un instant, que Rimbaud n’ait pas existé et qu’un romancier, moi ou un autre, invente la vie d’un poète qui serait cet Arthur Rimbaud-là. Je vous assure que votre éditeur vous dira qu’on n’y croira pas, que votre histoire n’est pas vraisemblable. Imaginez : Rimbaud, c’est un enfant sage, un premier de classe en latin qui fait la fierté de sa mère et qui, tout à coup, se met à fuguer et écrire, de 16 à 21 ans, les plus grands poèmes de la littérature mondiale. Il décide ensuite de voyager, de partir en Afrique pour devenir commerçant et trafiquant d’armes, et enfin revient mourir à Marseille, après avoir été amputé. Ce récit est tellement hors de l’entendement que quand je suis devenu romancier, je me suis dit qu’il faudrait un jour que je raconte cette vie qui est supérieure au roman. Voilà comment je me suis approprié le personnage d’Arthur pour lui rendre un hommage, ainsi qu’à ma propre adolescence.

Isabelle, la narratrice, affirme avoir la responsabilité de soigner la vérité concernant la vie de son frère, jugée scandaleuse par sa famille. Ainsi, à ceux qui exigent des détails, elle dit vouloir « servir des mensonges qui auront l’air de vérités. » Dans votre roman, quelle a été votre position vis-à-vis la vérité ?

Ce qu’il faut dire, en premier lieu, c’est qu’Isabelle a été l’exécutrice testamentaire de son frère. C’est elle qui a récupéré ses textes et poèmes auprès de différentes personnes, dont Paul Verlaine. C’est elle qui a choisi ce qui serait, ou pas, publié. On sait qu’elle a détruit des poèmes d’Arthur, jugeant qu’ils étaient contraires aux bonnes mœurs. On sait aussi qu’Isabelle a plus tard écrit un livre sur son frère, intitulé Le Dernier Voyage d’Arthur Rimbaud, une biographie totalement édulcorée. Pour elle, cet homosexuel sans dieu, voire contre Dieu, est un scandale. Elle a donc participé à un travestissement de la réalité en voulant éviter que le nom de sa famille ne soit souillé. En la faisant intervenir en 1891, je la confronte à la vérité intime d’Arthur Rimbaud, qui lui révèle de nombreuses choses, qu’elle prend d’ailleurs en plein visage. D’un côté, j’ai essayé d’être scrupuleux sur le respect de la vérité historique concernant Arthur. En revanche, une partie de ce que je fais vivre ou penser à Isabelle relève du roman. Un mystère, une certaine ambiguïté persiste sur la dernière période de sa vie, ce qui explique la présence d’un certain nombre de personnages qui n’ont jamais existé. L’idée n’était pas d’être vrai, mais bien d’être vraisemblable en remplissant les trous laissés pas l’Histoire.

Inévitablement, vous avez tout de même dû soulever le voile sur la vie amoureuse de Rimbaud.

Je cherchais à dépeindre un Rimbaud très humain, ce qui explique pourquoi on le découvre souffrant et acariâtre. Je voulais que l’on sente sa blessure pour s’en approcher. En même temps, je voulais traiter de Rimbaud le poète, l’Africain et l’homosexuel. Sur cette dernière question, je ne voulais pas entrer dans un projet graveleux puisque dans mes romans, je suis plutôt enclin à la pudeur. Ce qu’on sait grâce à ses biographes, c’est que dans sa vie, les expériences sexuelles sont très peu nombreuses. On ne lui connaît aucune conquête féminine. On sait qu’il a vécu cette passion folle, incandescente et physique avec Verlaine, et on suppose qu’il a aussi vécu une passion à Londres avec un jeune poète nommé Germain Nouveau. Enfin, on suppose qu’il a connu les plaisirs de la chair avec Djami, son serviteur abyssin à la fin de sa vie. Enfin, il est intéressant de constater que cet homme qui a écrit des choses si sensuelles sur le corps ne se soit pas servi de sa sensualité à ce point. J’ai donc soulevé plusieurs interrogations sur son rapport au désir, au corps et au sexe.

Isabelle affirme que c’est elle qui risque tout, que son frère ne risque rien. Qu’entendez-vous par la notion de risque, compte tenu de la réputation du clan Rimbaud ?

Il faut avoir en tête ce qu’est Isabelle, soit une jeune femme de 30 ans qui a perdu tous les hommes qui comptaient dans sa vie. Elle n’a pas connu son père, qui a très tôt abandonné sa famille. Elle a perdu une jeune sœur, morte à 17 ans, puis son frère Frédéric, banni par sa mère à cause d’un mauvais mariage, et enfin Arthur, qu’elle n’a pas vu depuis onze ans au début du récit. Elle est dans un délaissement absolu. Seule sa mère, un personnage très lugubre et autoritaire, est restée et l’a éduquée dans la crainte de Dieu. A 30 ans, elle n’a toujours pas connu d’hommes, ce qui fait d’elle, en somme, une ignorante absolue. Soudainement, elle se trouve confrontée à un homme agonisant dont tout le monde dit qu’il est un génie même si personne ne comprend vraiment ce qu’il écrit. Évidemment, elle va être bousculée par cet ouragan qui arrive dans sa vie pour en changer le cours. Toutes les solitudes, toutes les certitudes sur lesquelles elle a construit sa vie vont être balayées par l’arrivée d’Arthur.

Bibliographie :
Les Jours fragiles, Philippe Besson, Julliard

Publicité