L’automne dernier, pour Le dit du mistral (Le Tripode), c’est le Français Olivier Mak-Bouchard qui a remporté le prix Première plume qui met à l’honneur des premiers romans. J’aurais pu faire ma chauvine, grogner en voyant que ni Mireille Gagné (Le lièvre d’Amérique, La Peuplade) ni Marie-Ève Thuot (La trajectoire des confettis, Les Herbes rouges/Du sous-sol), les Québécoises qui étaient aussi en lice à ses côtés, ne l’avaient eu. Or, il faut l’admettre, cette victorieuse fable empreinte de réalisme magique atteint des sommets hauts comme les montagnes au pied desquelles l’histoire s’articule. Dès les premières pages, Mak-Bouchard est déjà tout pardonné.

Cet opus fait changement des premiers romans urbains qui se déroulent dans un Paris hypermoderne, animé, voire un brin anxiogène. C’est ce que je me dis encore en écumant les sites touristiques du Luberon, massif forestier et montagneux qui s’étend d’est en ouest entre les Alpes-de-Haute-Provence et le département de Vaucluse, en France. Je viens à peine de terminer Le dit du mistral que déjà, j’ai la piqûre pour ce coin de Provence, avec ses paysages d’ocre, ses parfums de lavande, ses arbres centenaires, ses villages perchés, ses habitants qui semblent tout droit sortis du monde de Marcel Pagnol, où des films tirés de ses romans ont d’ailleurs été tournés. Bien sûr, tout le monde sait ça, un voyage dans le Luberon, ce ne sera pas pour tout de suite… En attendant, il y a Mak-Bouchard qui nous fait rêver.

« Je suis très proche de la terre et des animaux, plus que la moyenne des hommes. Quand j’étais enfant, dès que j’avais un temps libre, j’allais dans les terres pour faire des randos et des cabanes. J’avais donc envie de rendre hommage à ce Luberon, ainsi qu’à ce monde qui m’a vu naître. Ce monde, un peu comme une fable mythologique, j’ai voulu le peupler de dieux et de déesses, d’éléments et d’animaux totems », note celui qui s’est installé à San Francisco il y a près de cinq ans pour suivre son épouse aux origines sino-américaines. C’est donc là que je le joins, au cœur de sa matinée américaine. Nostalgique de sa région d’origine, il me raconte comment il a voulu créer un suspense entre le réel et l’imaginaire en racontant l’histoire d’un homme ordinaire qui voit sa vie changer quand débarque un jour à sa porte le vieux paysan de voisin. « Au début, on est dans un monde moderne, puis, le lecteur bascule dans un univers où, pour arriver à sauver la nature et la montagne, des objets surgissent de la terre, deviennent des clés de voûte permettant de résoudre une énigme », observe avec justesse le primoromancier.

Ce qu’on doit aux aînés
Si elle est inopinée, la présence de ce monsieur Sécaillat est loin d’être anodine. C’est que ce dernier veut montrer ses découvertes archéologiques à celui qui deviendra à la fois son complice et ami, mais aussi une sorte de fils, en raison des années qui les séparent et du rapport amour-exaspération qui s’installe assez vite entre eux lors des fouilles clandestines qu’il mèneront, contre vents et marées… « J’ai voulu faire un roman sur la transmission, sur ce qu’on reçoit des générations d’avant et sur ce qu’on transmet à celles du futur aussi », explique Mak-Bouchard, dont le premier nom vient de son amoureuse aux origines chinoises. Quant à Bouchard, je ne peux m’empêcher de lui dire qu’au Québec, il en pleut!

Il s’esclaffe à ce propos, ajoutant qu’il est venu deux fois au Québec et qu’un membre de sa famille a même jadis possédé un restaurant à Montréal. Son rire est celui d’un homme qui, bien que né en 1982, ne semble pas tout à fait sorti de l’enfance. Ce qui n’est pas, j’ose imaginer, sans donner une dimension féérique au roman, comme en témoignent d’ailleurs ces pages d’introduction :

Naïvement, je cherchai du regard l’endroit où les Albiques, Moustache-Blanche et Hannibal avaient joué pour apaiser le Maître-Vent. D’après le Gaulois, les bergers pèlerins avaient laissé derrière eux un petit cairn de toutouros brisées, leurs dernières offrandes à Vintur. Mais, bien évidemment, il n’y avait plus de cairn depuis belle lurette : les siècles comme les travaux de l’observatoire étaient passés par là.

Le Luberon était un terrain de jeu à la hauteur de son royaume : la garrigue était sa brousse, les ocres ses canyons, les bories ses cavernes super-secrètes. Les allées de cerisiers étaient des alignements de dolmens pour se cacher des légions romaines, les rangées de vignes des labyrinthes où suivre les mousquetaires, les rayons de lavande des sauts de haies pour des Olympiades.

Loin de s’imaginer écrivain
La voix est déjà tellement assumée du côté de la fiction, la forme solide, notamment avec un brillant jeu narratif, qu’il est difficile d’imaginer qu’il a pu opter pour un job en contrôle de gestion plutôt que pour une vie consacrée à la création. « J’ai une vie de Monsieur Tout-le-Monde. J’ai toujours eu une grande appétence pour la littérature en général, mais je n’y avais jamais cru, sauf quand j’étais petit et que j’avais écrit un petit roman, Les 5 cousins mènent l’enquête. Ça s’était arrêté là. Je suis loin du milieu de l’édition, je m’étais toujours dit qu’il fallait connaître les bonnes personnes pour réussir. Or il y avait cette histoire qui venait frapper à ma porte assez souvent, et un jour, je me suis dit que ce serait dommage de ne pas le faire, donc, je me suis accroché à la route. Il faut dire que je suis têtu et obstiné. »

J’ajouterais que Mak-Bouchard est sensible. Assez pour ne pas avoir adopté un nouveau chat quand le sien est décédé peu de temps avant qu’il débarque aux États-Unis. De nature fidèle, il avoue qu’il aurait eu l’impression de le trahir. Je raconte l’anecdote parce que dans Le dit du mistral, un chat y a élu domicile, sorte de sherpa qui aide à gravir les montagnes, à suivre le fil de l’histoire parsemée de provençal, dialecte de l’occitan parlé en Provence. Enfant, Mak-Bouchard l’a appris une heure chaque semaine. L’écrire dans ce livre, c’est aussi saluer bien bas l’écrivain Frédéric Mistral, grand défenseur de la culture provençale, prix Nobel de littérature, qui avait pour devise Lou Soulèu me fai canta ou Le soleil me fait chanter.

Je comprends donc.

Photo : © Éditions Le Tripode

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