Nathalie Rheims : Si j’avais les ailes d’un ange

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Une adolescente quitte les siens pour se cloîtrer chez la communauté religieuse la plus fermée qui soit : les Moniales Victimes du Saint-Sacrement, qui ont pour règles le don total au Christ, le silence inviolable, le retrait du monde. Bientôt, l'engagement de l'héroïne est tel qu'il la mènera à l'expérience mystique ultime : le dialogue avec l'au-delà. Résolument à contre-courant, à notre époque éprise d'impudeur et de violence, le quatrième roman de Nathalie Rheims, cadette de l'académicien Maurice Rheims et sœur de la célèbre photographe Bettina, étonne et détonne dans la rentrée littéraire française. Entretien avec une auteure éprise d'absolu.

C’est tout de même étonnant qu’une femme d’origine et de culture juives (par votre mère et votre père) telle que vous ait écrit un livre à ce point pétri d’imagerie catholique, non ?

Je suis juive de naissance (de père et de mère, en effet), mais sans éducation religieuse au départ : mes parents sont athées, ma mère l’était et mon père l’est toujours. Vers l’âge de dix, onze ans, comme beaucoup de fillettes, voyant mes copines à l’école faire leur première communion, puis leur communion solennelle, j’ai demandé à ma mère ce que c’est que Dieu. Elle m’a dit : « Je ne sais pas du tout, je ne suis pas croyante, je ne pourrais pas t’expliquer, tu n’as qu’à demander à Nannie. » Je suis donc allée voir Nannie, qui est la co-dédicataire de mon nouveau livre et qui était catholique, et elle m’a expliqué le catholicisme, puisque ma mère lui en avait donné l’autorisation. Au départ, il faut le dire, j’ai été plus sensible à l’esthétique qu’à la véritable profondeur, et sans savoir pourquoi je me sentais appartenir beaucoup plus à cette croyance-là qu’au judaïsme, bien que je ne renie pas du tout mes origines, loin de là.

Sur un plan formel, à quoi correspond ce choix d’une double narration où la mère de la recluse d’abord, puis l’innocente élue ensuite, exposent chacune leur propre version des faits ?

Mon livre porte en partie sur le thème de l’abandon. Au fil du récit, tandis que la jeune fille effectue ce parcours initiatique avant de prendre la décision de se cloîtrer, alors qu’elle a déjà adopté le voile blanc des vœux temporaires, on se rend compte que sa propre mère a abandonné un homme pour sa fille et qu’à son tour la fille renonce à sa mère. On se rend compte aussi que tous les personnages qui prennent corps dans le roman, qui vont mener la jeune fille vers le noviciat, tous ont dû renoncer à quelque chose. La double narration m’intéressait parce que je raconte un double abandon, en fait. La mère est à l’extérieur du cloître, au moment où elle raccompagne sa fille au couvent en sachant qu’il s’agit d’une séparation définitive. La mère prend cet abandon comme un échec. Et à l’intérieur, l’autre voix, celle de la fille, retrace les étapes de la progression vers Dieu et de l’abandon des siens. Je trouvais qu’il était intéressant d’avoir une voix à l’extérieur, dans la vie, et l’autre, celle de la clôture. Surtout, ce qui m’importait le plus, c’était de montrer ce qui peut pousser une jeune fille de 21 ans, vivant dans le monde contemporain tel qu’il est, avec ce qu’il nous offre d’extraordinaire et d’affreux, à rentrer dans le silence et la prière.

Certains psychiatres prétendent que la transe mystique n’est rien qu’une forme particulièrement aiguë de maladie mentale ; qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas. La maladie mentale d’ordinaire se retourne contre celui qui en souffre et les gens qui l’entourent. Dans le cas de ces jeunes filles qui prient, je n’ai jamais vu la moindre violence envers elles-mêmes ou les autres. Je pense que notre corps et notre esprit nous appartiennent, alors libre à nous de les donner à qui on veut. Une femme qui a aimé toute sa vie un homme, au risque d’être abandonnée ou déçue, peut bien décider qu’elle a une telle soif d’absolu qu’elle choisit de donner cet amour inconditionnel à Dieu puisqu’elle ne sera pas déçue. C’est un choix. Même si l’on prend les grandes mystiques de l’Histoire, Sainte-Thérèse d’Avila, Sainte-Thérèse de Lisieux, sur lesquelles j’ai beaucoup lu, je ne vois pas en quoi ces femmes ont fait autre chose qu’apporter aux autres. Je ne connais aucune forme de maladie mentale qui soit constructive.

Chez vous comme chez nous, on a fait beaucoup de cas de la vague d’autofiction à laquelle vos premières œuvres sont associées. Maintenant que vous prenez vos distances en plongeant de plain-pied dans la fiction, quelle est votre perception de cette école littéraire, si on peut l’appeler ainsi ?

En fait, j’aime l’autofiction quand elle permet au lecteur de se retrouver, plutôt que d’être un simple exercice de narcissisme. Encore que quand l’autofiction est dédiée à un talent comme celui de mon amie Christine Angot, on peut tout se permettre. C’est toujours la même histoire, vous savez : à partir du moment où c’est écrit avec soi-même, avec sa langue, avec son cœur, avec ce son d’écriture tout à fait personnel quel qu’il soit, tout peut s’écrire. En tant que lectrice, j’aime entendre la musique des gens qui écrivent. Mais j’ai publié coup sur coup trois autofictions et j’avais envie de changer un peu. Moi qui aime bien le fantastique, j’avais envie de donner à ce livre une part mystique, mais aussi une part fantastique. L’expérience de mon héroïne lui permettra de comprendre pourquoi le Mal est là, pourquoi elle est là, et ce qu’elle peut faire pour éviter l’Apocalypse.

On vous décrit comme « l’écrivain des silences », ce qui me semble correspondre à votre œuvre. Mais cette étiquette vous convient-elle ou, au contraire, vous agace-t-elle ?

Elle me convient tout à fait. Je crois qu’en dehors du bonheur de parler de mes livres une fois qu’ils sortent, j’ai pas mal de difficultés à m’exprimer dans la vie. On a aussi dit de mon écriture que c’était celle de l’évitement, et c’est sans doute vrai. J’en dis énormément sur moi, il suffit de lire entre les lignes. Depuis toujours je crois que l’écoute des autres est fondamentale. Et quand on écoute, forcément on fait silence. Mais c’est dans le silence qu’on entend le mieux.

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L’Ange de la dernière heure, Nathalie Rheims, Flammarion

Les internautes peuvent visiter le site web consacré à l’auteure : www.nathalierheims.com

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