Michael Chabon : Le bon, la brute et leurs créateurs

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À l'instar du superhéros qu'il décrit dans son dernier roman, Michael Chabon s'est envolé vers la gloire - et vers de palpitantes nouvelles équipées littéraires -, grâce aux Extraordinaires Aventures de Kavalier et Clay, qui lui a valu le prix Pulitzer en 2001. Habile croisement entre la chronique du malheur du peuple juif vu de l'autre côté de l'Atlantique et l'essai sur l'âge d'or des comics américains, cet imposant pavé retrace le parcours fascinant de deux jeunes rêveurs que même les plus solides chaînes ne sauront entraver.

Fin octobre 1939. Sammy, commis chez Empire Novelties Corporation à New York, ne sait pas que son cousin, Josef Kavalier, fraîchement débarqué chez lui après avoir fui Prague en passant par la Sibérie et le Japon, est la clé qui lui permettra de réaliser ses plus grandes ambitions. Nourri aux comics américains, il accumule les idées de scénario, crayonne un peu sans grands résultats. Josef, vite rebaptisé Joe, dessine particulièrement bien et en connaît beaucoup sur l’art popularisé par Houdini, qui consiste à se libérer de n’importe quelle entrave. De leur rencontre naîtra L’Artiste de l’Évasion, un super-héros qui, ressentiment oblige, se plaît à botter le derrière d’un certain tyran à la petite moustache. Tandis que Sammy multiplie les collaborations et gravit malgré un salaire ridicule les échelons de la gloire, Josef amasse de l’argent pour espérer ramener en Amérique sa famille menacée par le régime nazi.

Ces quelques lignes n’expriment qu’une infime partie des mille richesses qu’offre le pavé de Chabon. Car bien que ce roman contienne certaines des plus lumineuses pages consacrées à l’art du comic américain, il demeure avant tout un livre sur le courage qu’il faut pour oser lancer à la face du monde nos rêves de gloire. Intrigué par ce projet plus grand que nature, nous avons voulu en savoir plus.

Les Extraordinaires aventures de Kavalier et Clay marque un point tournant dans votre carrière. D’où vous est venue l’idée de vous aventurer dans l’univers des comics ?

Eh bien, après les Wonder Boys (traduit par Des Garçons épatants), dont j’étais pourtant assez content, il me restait une vague insatisfaction : j’avais le goût d’essayer quelque chose de plus grand, de plus ambitieux. J’ai toujours été fasciné par le New York des années 30-40, l’époque de l’enfance de mon père, à Brooklyn. J’avais le pressentiment que cela ferait un terreau fertile pour un gros roman, si seulement je pouvais trouver la bonne histoire, le bon milieu, l’angle d’approche approprié et, qui plus est, original. Et puis, un jour que j’attendais chez le dentiste pour un nettoyage, je me suis mis à feuilleter un vieux numéro du Smithsonian Magazine. Il y avait cet article sur Superman, sa longue histoire, celle de Siegel et Shuster, ces deux jeunes Juifs de Cleveland, Ohio, qui l’avaient imaginé. Et je me suis dit, hum… les comic books ! Enfant, je n’étais pas juste friand de ceux de mon époque mais aussi, grâce aux rééditions, j’avais appris à aimer les héros du soi-disant âge d’or du genre. On commençait à peine à envisager l’histoire du médium et j’avais grandi avec lui. Alors cette idée m’a paru idéale pour mes ambitions post-Wonder Boys.

Le parcours de Kavalier et Clay est donc aussi un hommage aux deux pères du plus connu des superhéros.

J’ai tenu à ce que l’histoire de Joe Kavalier épouse la même trame que le mythe de Superman – les deux sont des immigrants, dotés de pouvoirs extraordinaires, exilés loin de leur terre natale, une terre dévastée où ils ne pourront jamais retourner. Les deux doivent changer de nom en arrivant ici (Kal-El devient Clark Kent, Joseph devient Joe) et, en un sens, renaissent en tant qu’Américains. J’aimais cette idée à cause du clin d’œil non seulement à Superman, mais aussi à son illustre prédécesseur (Doc Savage, l’homme de bronze), qui non seulement possédait un repaire arctique secret, mais aussi un quartier général clandestin au 86e étage de l’Empire State Building.

Votre roman est traversé par énormément de superhéros, à commencer par L’Artiste de l’évasion, mais aussi par Superman, Batman et, chose surprenante, peut-être le premier des superhéros mystiques : le Golem.

Il me semblait juste qu’étant originaire de Prague, et n’ayant jamais vu de super-héros ni lu de comic books, une fois qu’on lui demanderait de dessiner un superhéros, Joe serait naturellement tenté de dessiner le Golem. Une fois le Golem intégré au roman, il m’est vite devenu impossible de l’en exclure. J’ai toujours été attiré par cette figure à la fois pitoyable et puissante des légendes juives, qui partage avec nous tous cet étrange destin de n’avoir pas choisi de venir au monde.

Est-ce que vous croyez que ce livre va changer la perception du grand public envers les comics ?

La perception du grand public sur les comic books a déjà changé, et continue de changer, d’évoluer. Un bastion de l’institution littéraire aussi sérieux que le New York Times Book Review a récemment mis six albums à la une, avec une critique de Nick Hornby. Il me plairait de croire que mon roman a contribué à ce changement de perception à l’égard des comic books. J’en serais très fier !

Actuellement en cours de production en vue d’une adaptation cinématographique qui serait réalisée par Stephen Daldry, Les Extraordinaires Aventures de Kavalier et Clay a tout d’un futur classique du roman américain. Michael Chabon y démontre une virtuosité stylistique impressionnante sans pour autant laisser filer un récit qui, fait rare, ne connaît que très peu de creux sur pas moins de 631 pages. L’exploit, s’il ne résulte pas de super pouvoirs d’un quelconque superhéros des lettres, n’en demeure pas moins confondant. En outre, la recherche de l’écrivain sur l’univers des comics est à proprement parler éblouissante. Une lecture incontournable ? Certes, et on ne saurait trop recommander la lecture des autres romans de Chabon, qui brille, notamment, dans l’art du portrait. Pensons à Des garçons épatants (adapté au grand écran avec Michael Douglas et Toby McGuire), ainsi qu’au recueil de nouvelles intitulé Les Loups-garous dans leur jeunesse.

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