Débâcle, c’est un phénomène devenu mondial. Publié d’abord en néerlandais chez un petit éditeur flamand, il a déjà rejoint plus de 200 000 lecteurs. Lize Spit nous entraîne dans une tragédie intime de l’enfance, décrite dans un roman ficelé comme pas un et servie dans une écriture forte, imagée, qui s’attarde autant aux détails qu’aux silences. Ce premier roman, c’est une bombe.

Dans un petit village flamand où il n’y a qu’une épicerie, une boucherie, un café, seuls une fille et deux garçons sont nés en 1988 (année de naissance de l’auteure, d’ailleurs) : inséparables depuis toujours, Eva, Pim et Laurens passeront ensemble un dernier été, celui de leurs 14 ans, avec tout ce que la puberté occasionne comme comportements et jeux qui, parfois, se rapprochent de l’ignominie… « Dans les petits villages, les enfants sont coincés les uns avec les autres et n’ont pas la possibilité de choisir leurs amis. Ceux qu’ils ont, ils les ont par dépit », nous explique l’auteure, au bout du courriel. Elle-même a grandi dans un petit village où elle n’aimait pas jouer à la poupée (cela la faisait sentir laide) et préférait se tenir avec les garçons. Mais la seule façon qu’elle a trouvé d’être vue et acceptée par eux a été – à l’instar de son personnage d’Eva – de tenter de devenir l’une des leurs. « Je me souviens d’avoir été soulagée, en entrant au secondaire, de découvrir que je pouvais soudainement choisir mes amis parmi un bassin d’enfants. Cependant, le secondaire a changé les amitiés au village : l’été, lorsque l’école était fermée, tu étais pris à nouveau avec les mêmes vieux amis, dans le même village, chaud et moite. Des amis dont tu devinais qu’ils avaient également trouvé de meilleurs compagnons à l’extérieur du village. Alors tu sentais que c’était déjà fini : tu ne pouvais plus avoir confiance en eux. »

La confiance. Eva a foi en Pim et Laurens. Après tout, le trio n’a jamais été séparé, ni à l’école ni durant les vacances. « Dans Débâcle, au moment où les garçons commencent à découvrir leur sexualité, Eva est aliénée. Leur amitié devient toxique, dangereuse. » Comme l’exprime habilement l’auteure, « ils doivent juste “survivre” à ce dernier été ensemble ». Pourquoi Eva reste-t-elle? Pourquoi accepte-t-elle de prendre part à ce drôle de rituel mis sur pied par les garçons, qui consiste à amener une fille à l’écart pour lui poser une énigme dont seule Eva détient la clé et pour laquelle chaque mauvaise réponse force l’invitée à retirer un vêtement? Son béguin pour Pim, certes, mais aussi sa solitude. Ses parents ne se soucient pas d’elle, elle n’a pas d’autres amis et sa tentative de créer des liens avec la nouvelle venue au village a échoué. Par dépit, elle préfère être aux côtés de ceux qu’elle connaît depuis toujours : « Elle a davantage peur d’être seule que d’être violée ou de n’être vue par personne. Parfois, les gens font des choses étranges pour combler ce désir d’être acceptés par les autres », justifie l’auteure…

Un petit goût d’amertume
Lize Spit enseigne l’écriture de scénario à Bruxelles. Le suspense narratif, visiblement, elle connaît. Ici, en plus de raconter l’histoire de cet été qui marquera le trio, elle maintient le souffle du lecteur en racontant Eva devenue adulte qui décide de retourner, avec un étrange bloc de glace dans le coffre de sa voiture, dans son village natal. Il y a donc le suspense qui est maîtrisé, mais également l’évocation de tout ce qui fait de l’adolescence une période à fleur de peau. « J’écris depuis que je suis enfant. Pour moi, écrire ce n’est pas coucher des phrases sur papier, mais trouver les bonnes images pour capturer le moment : c’est une forme de contrôle de la réalité. Souvent, mes souvenirs d’enfant sont poétiques parce que je les ai capturés du point de vue d’un écrivain », explique celle qui avoue avoir toujours eu de la difficulté avec les adieux : « Et c’est ce que signifie “grandir” : dire adieu à tout tel que tu le connais. Ton corps, ton enfance, ton innocence, ton imagination. Grandir a été une grande désillusion. Quand j’ai écrit Débâcle, les images et les scènes qui décrivent ce que c’est que d’être adolescent – la perte d’illusions, le malaise de vivre dans un corps changeant – étaient déjà présentes en moi, parce que j’en avais fait l’expérience. Je n’ai eu qu’à simplement les choisir dans mon “cahier interne”. »

Son cahier interne, on l’espère bien fourni, assez pour un second roman. Après plus de 200 000 exemplaires écoulés, il est bon de lire que le succès ne lui a pas monté à la tête. Elle a conservé ses amis, son copain, son appartement. Seule différence : elle peut se consacrer à des métiers en lien avec l’écriture et laisser de côté son boulot de vendeuse dans une boutique de vêtements de maternité. D’ailleurs, elle travaille déjà à son second ouvrage. Ce livre, espère-t-elle, prouvera à ses détracteurs qu’elle a du talent et que Débâcle n’était pas qu’un coup de chance : « J’essaie d’écrire une histoire qui fera la fierté de mon éditeur et de mon directeur littéraire, car, au final, c’est pour eux que j’écris. Ils sont mes premiers lecteurs et ce sont leurs réactions qui sont les plus importantes à mes yeux. Ils sont en quelque sorte mes “parents littéraires” ».

Photo : © Keke Keukelaar

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