Il y a quelque chose d’Alexandre Dumas dans les écrits de Joël Dicker. Il dit rougir au bout du fil quand on le lui dit. Mais c’est vrai quand même. Il a cette façon de « feuilletoniser » ses histoires, de les faire voler de chapitre en chapitre et de rebondir d’un « punch » à l’autre. Cette façon de se faire côtoyer des personnages réalistes avec d’autres, plus grands que nature et qui trouvent réalité et identité à travers des intrigues carburant au suspense et à l’inattendu.

C’était le cas pour La vérité sur l’affaire Harry Quebert, succès-surprise de 2012 vendu à plus de trois millions d’exemplaires, finaliste aux prix Goncourt et Interallié, lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française et du Goncourt des lycéens. Ce l’était moins pour Le livre des Baltimore, « qui est volontairement moins haletant, mais pour moi, c’est une bonne chose : je voulais amener mes lecteurs ailleurs », précise l’auteur de 32 ans, joint chez lui à Genève.

Avec La disparition de Stephanie Mailer, Joël Dicker revient au rythme pédale au plancher. « Sauf qu’à mon sens, il y a peu en commun entre Harry Quebert et Stephanie Mailer. Oui, il y a une enquête, mais là où le premier misait avant tout sur le suspense, le cœur du second bat à travers ses personnages, nous sommes davantage dans les émotions. »

Le récit se déroule de nouveau sur la côte Est des États-Unis. « Je la connais très bien, j’y ai passé bien des étés. Au départ, l’histoire devait se passer en Suisse, mais je ne suis pas prêt à cela, j’ai encore besoin de mettre une distance entre moi et la pure fiction. »

Nous sommes donc, cette fois, à Orphea, ville fictive des Hamptons, où se produit un quadruple meurtre : au moment de l’inauguration du festival de théâtre qu’il a fondé, le maire de la station balnéaire, de même que son épouse, leur fils et une joggeuse qui passait par là, sont assassinés. Le crime est résolu par deux jeunes policiers, Jesse Rosenberg et Derek Scott. Vingt ans plus tard, le premier célèbre son départ prochain à la retraite. On le surnomme « capitaine 100% », car il a dénoué toutes les enquêtes dont il s’est occupé.

L’apparition de Stephanie Mailer
Pendant la fête, une journaliste l’aborde alors. Elle s’appelle Stephanie Mailer. Elle lui dit simplement : « En 1994, vous vous êtes trompé de coupable. Je pensais que vous vouliez le savoir. » Là-dessus, elle quitte les lieux.

Peu après, elle disparaît.

Mais elle ne quitte jamais vraiment les pages de ce roman polyphonique mettant en scène une trentaine de personnages dans lequel Joël Dicker s’est donné un double défi : présenter différents points de vue sur les faits en multipliant les narrateurs; et offrir aux lecteurs un compte à rebours implacable… puisque, de nouveau, le fameux festival de théâtre approche, que les éléments dramatiques « s’empilent » et s’accentuent à son approche. 

« Stephanie est au centre de toute l’histoire. Sans elle, sans sa remarque, il n’y a pas d’enquête. Jesse prend sa retraite, et voilà. À cause de son commentaire, il rouvre ce “cold case”. C’est elle qui rassemble tout le monde, tout en n’étant pas là. La faire vivre dans toute son absence n’a pas été simple. Il fallait doser sa présence, les flash-back qui dévoilent son passé. »

Pour ce qui est de la narration à plusieurs voix, elle s’est imposée à lui. « Au départ, je n’avais que deux narrateurs, mais, bizarrement, l’histoire n’était pas claire. Multiplier les points de vue a été plus complexe pour moi, mais, je crois, a simplifié les choses pour le lecteur. »

Or Joël Dicker respecte le lecteur un peu comme… les chefs respectent le produit, dirait-on dans certaines émissions de cuisine. À ses yeux, lire n’est pas un acte passif. Lire est un échange entre un auteur qui raconte une histoire et un lecteur qui veut bien vivre – il dit bien « vivre », pas lire – cette histoire. Et pour que la mécanique fonctionne, celui qui reçoit l’histoire doit y trouver sa place, prendre des décisions. Voir au-delà des mots, de l’encre sur la page.

La force unique du livre
« Un livre qui dit tout, montre tout, devient étouffant », croit celui qui, pour cela, décrit peu – entre autres, ses personnages – afin de laisser au lecteur le loisir d’imaginer. « Vous êtes dans le bus, dans l’avion, à l’hôpital, et vous, par la force de votre esprit, vous échappez à votre vie. C’est ça, le travail du lecteur. » Il le trouve magique.

Et pour ceux qui désirent se faire imposer les images, il y a le cinéma et la télévision. Sur lesquels le romancier ne crache pas. Au contraire. Il a été approché à plusieurs reprises pour des adaptations de La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Il a étudié les offres avec Bernard de Fallois, son éditeur, son mentor, décédé au début de l’année. Il en parle toujours avec autant d’émotion. « S’il n’avait pas été là, je suis persuadé que mon roman, même identique, n’aurait pas eu le même succès. Il a su le conduire, il a su me conduire, il a été capable de me mettre en contact avec le succès et avec le lecteur. C’était une autre de ses forces. »

« Vous savez, poursuit-il, il m’a accompagné dans l’écriture de Stephanie Mailer (NOTE : le roman lui est d’ailleurs dédié). En juillet, le roman faisait 1200 pages! Il a su me guider vers une version plus courte, plus nerveuse. Du coup, son absence, son décès ne sont pas encore tout à fait évidents pour moi. Il donnait l’impression qu’il allait vivre pour toujours. »

Et cet homme « qui semblait invincible » même à 91 ans avait des réticences à imaginer Harry Quebert au petit écran. « Il trouvait que ce ne serait pas assez prestigieux. » Finalement, Jean-Jacques Annaud a réussi à convaincre l’éditeur. « Quand il a vu des images, M. de Fallois m’a dit : “Mais Joël! C’est du cinéma!” En effet, la série n’a pas été approchée comme dix épisodes, mais comme un long métrage de huit heures et vingt minutes. » Qui a été tourné en anglais au Québec, qui met en vedette Patrick Dempsey dans le rôle-titre, et qui devrait être diffusé à l’automne. Les détails sont encore à venir.

Et c’est ainsi que se boucle la boucle : le feuilletoniste voit ses écrits prendre vie à l’écran sous forme de feuilleton. Une histoire qui finit bien. D’autres suivront. Parce que Joël Dicker ne fera pas comme Stephanie Mailer. Il ne disparaîtra pas.


Photo : 
© Valery Wallace / Studio Cyan

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