Jeffrey Moore: Cerveau en dérive

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Après avoir obtenu le prestigieux prix du Commonwealth grâce à son premier roman (Captif, de rose enchaîné, paru en français à La Pleine Lune en 2001), l'écrivain montréalais Jeffrey Moore nous donne un nouvel échantillon de son humour caustique dans Les Artistes de la mémoire. Fin, drôle, philosophique et… documenté, ce deuxième roman explore les chemins qu'emprunte le cerveau pour retrouver le passé.

Noel Burun est un «synesthète hypermnésique», rien de moins. Cela signifie d’une part qu’il n’oublie à peu près rien («hypermnésie») et, d’autre part, que son cerveau associe les mots qu’il entend à des formes et à des couleurs («synesthésie»). Stella, sa mère, est atteinte d’un mal inverse: l’Alzheimer. L’état de cette dernière s’aggravant, Noel s’enferme de longues heures dans le laboratoire qu’il a bâti avec son père, un pharmacologue décédé de triste façon. Là, il met toutes ses connaissances à profit pour essayer de trouver un remède miracle contre l’Alzheimer. Aidé de ses étranges amis (un bellâtre toxicomane, un gentil excentrique, une ex-comédienne et un neuropsychologue de renom), Noel découvrira que ce n’est peut-être pas vers la pharmacopée qu’il fallait se tourner…

Les Artistes de la mémoire présente une conception étonnante de la science, où les motifs et les attitudes irrationnelles mènent à des intuitions et des résultats rationnels. Selon Moore, notre esprit fonctionne de cette manière: «La plupart des scientifiques n’auraient rien découvert sans schèmes de pensée  » irrationnels « , créatifs ou intuitifs. Les Artistes de la mémoire, où j’ai multiplié les allusions à l’art (de Byron à Rimbaud en passant par Rimski-Korsakov et Kandinsky), repose sur l’idée que mémoire et art, science et art sont intimement liés.» Ainsi, les recherches que mène Noel pour soigner l’Alzheimer ne découlent pas seulement de ses connaissances en neuropharmacologie, mais aussi de passages d’œuvres littéraires qu’il connaît par cœur, par exemple, ou des couleurs qu’évoquent les mots dans son cerveau.

Dans les années 1990, les parents de Jeffrey Moore ont tous deux lutté contre l’effritement de leurs souvenirs. C’est ce qui a donné à l’auteur l’idée de son roman — et le besoin urgent de l’écrire. «Mon père a été victime de l’Alzheimer, confie-t-il, et ma mère commençait elle aussi à perdre la mémoire quand une voiture l’a heurtée mortellement. Écrire sur la mémoire et les effondrements neurologiques représentait donc une manière d’apprendre à vivre avec tout ça — la fameuse catharsis, je suppose… Mais par moments, j’étais complètement bloqué, paralysé, presque effrayé à l’idée de ressusciter
le passé, la tristesse et le sentiment de perte qui y étaient attachés.»

Il en résulte pourtant un roman où l’humour ne cède jamais le pas au drame. À des années-lumière de l’autobiographie, Moore s’éclipse même derrière la plume du docteur Émile Vorta, neuropsychologue à qui il attribue ce «rapport de recherches romancé» que constitue Les Artistes de la mémoire. Aiguisez votre esprit: lisez-le!

Bibliographie :
Les Artistes de la mémoire, XYZ Éditeur, 342 p., 27$

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