Jean-Paul Dubois : Kennedy et lui

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Longtemps reconnu pour ses textes sentis sur l'Amérique publiés par Le Nouvel Observateur, l'auteur français Jean-Paul Dubois s'est surtout fait connaître au Québec avec la parution de Kennedy et moi (Seuil, 1997). La sortie d'Une vie française devrait une fois de plus convaincre les lecteurs de son immense talent d'écrivain accessible et porteur d'un regard lucide sur notre époque, comme sur les personnes qui parsèment le parcours de nos vies.

Dans son nouveau roman, Jean-Paul Dubois raconte une vie entière, française certes, comme le titre, mais surtout remplie d’humanité et dans laquelle tous se reconnaîtront. Paul, son personnage principal, est photographe autodidacte et travaille pour un magazine sportif. Il tombe en amour avec Anna, la fille de son patron, puis il obtiendra la reconnaissance et une aisance financière certaine avec la parution d’un recueil de photographies consacré aux arbres. Vie aisée pourtant minée par les avatars du quotidien : lassitude du couple, problème de communication avec ses enfants, remise en question des valeurs, etc.

Joint par téléphone à Toulouse au mois d’août dernier, Jean-Paul Dubois affirmait être très heureux de l’accueil reçu par son livre, même pas encore arrivé en librairie : « Jamais les libraires n’ont autant mis d’accent sur la sortie d’un de mes livres, le bouche à oreille est très favorable et les ventes à l’étranger, excellentes. » En apparence le plus ambitieux, du moins de par le nombre de pages (près de 400), Une vie française semble aussi reprendre l’essentiel du propos tenu dans les meilleurs romans de Dubois, à savoir Kennedy et moi et Les Poissons me regardent. Mais cette histoire de Paul, est-ce aussi une autobiographie ? « C’est l’histoire de tout le monde », répond l’auteur. « Ce livre cumule les émotions et les souvenirs de la génération au pouvoir en France. » Et, si l’on suit l’histoire de Paul, c’est aussi l’histoire de la France sur près de cinquante ans que nous scrutons dans Une vie française. « J’ai deux mémoires, une qui oublie tout le côté usuel, et l’autre, qui conserve tous les souvenirs, les odeurs et les images passées, car j’aime être attentif à la vie et aux gens », dira Dubois, pour qui la vie est hasardeuse. « Nos vies sont reliées à celles des autres, avec toutes sortes de zones de gris, incluant l’histoire de la famille et les inégalités de l’éducation », explique l’auteur.

Les uns et les autres

L’écriture de Jean-Paul Dubois révèle de livre en livre une part d’intimité très familière, comme dans son roman Je pense à autre chose, ou encore à Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, qui se déroule en partie au Québec. C’est aussi le cas dans son nouveau roman mais, dit-il, la part de lui-même qui s’y retrouve n’a pas d’importance : « Ça ne met en cause personne, cette histoire, c’est celle de tous ceux qui la liront et qui s’y reconnaîtront. »

Et sur la conception même d’Une vie française, il ajoute : « Ce livre a été écrit à l’envers, il se rembobine au fur et à mesure qu’on le lit ; mon travail d’écriture a été plus calme, j’ai davantage pris le temps de me questionner sur les émotions des gens qui évoluent selon les époques, leurs interactions, les bouillonnements tragiques qui changent les âmes. » Selon Dubois, dont la force est d’allier drame et comédie, les passages les plus faciles à écrire sont souvent les plus dramatiques. « Pour les moments plus drôles, il s’agit de trouver le ton sans tomber dans le ridicule, comme le confirme le chapitre sur la masturbation, où je ne ridiculise personne », dit-il. Sa force, il la manifeste aussi dans ses descriptions de personnages secondaires, comme les enfants de Paul, les parents d’Anna, mais surtout Louis Lagache, un journaliste sportif à mi-chemin, pourrions-nous dire, entre Pierre Foglia et Jean Dion. « Dans un journal, selon Dubois, il y a toujours un type qui détonne, l’archétype de l’épicurien érudit qui n’a pas d’ambition, qui ne se mesure pas aux autres et qui n’est pas dupe. »

L’écrivain se considère en année sabbatique de journalisme, prenant son temps pour mener à terme non pas un livre, mais quatre, dont le premier étant Une vie française. Le deuxième à paraître (bien qu’écrit en premier), plus humoristique, raconte les mésaventures d’un homme qui achète une maison, la rénove, et se retrouve entouré d’ « artisans cinglés, de véritables fous furieux de la rénovation ». Le troisième, intitulé Tournage, porte sur un scénariste appelé à la rescousse pour travailler sur un film hollywoodien à gros budget. Le personnage aura à faire face aux différents caprices du réalisateur et des vedettes. Le quatrième, quant à lui, se déroulera au Canada. C’est à la base un scénario jamais mis en scène qui nous présente la confrontation en huis clos de deux hommes : en plein blizzard, dans une demeure du nord de North Bay, un Français en phase terminale et l’ex-amant de sa femme (un féru de la nature), qui cherche à retrouver cette dernière.

La fin d’un (des) temps

Lorsqu’on lui demande de faire le bilan de l’aventure cinématographique de Kennedy et moi, transposé au grand écran par Sam Karmann avec Jean-Pierre Bacri dans le rôle principal, Jean-Paul Dubois se fait amer ; le résultat ne l’a pas emballé : « Il n’y pas de coupable, ou nous le sommes tous un peu, moi le premier par rapport aux attentes de l’adaptation. » Ajoutons que les droits d’autres romans parmi ceux qu’il a écrits ont été achetés, notamment Une année sous silence ; mais rien n’indique une adaptation prochaine. Et après deux essais sur la vie en Amérique tirés de ses textes publiés dans Le Nouvel Observateur (L’Amérique m’inquiète et Jusque-là, tout allait bien en Amérique, Éditions de l’Olivier), Dubois confirme en avoir assez de sa correspondance ; à y séjourner régulièrement, il trouvait l’État des États de pire en pire…

Y a-t-il une raison de lire Une vie française, direz-vous? « Pour sa douceur » : c’est ce que répond le romancier toulousain. Jean-Paul Dubois se retrouve donc avec une bibliographie remplie de petits romans savoureux ; et pourtant, il confiera qu’il rêvait d’une série, une saga avec les mêmes personnages qui reviennent de livre en livre. C’est assurément pour cette raison que Paul et Anna se retrouveront dans un éventuel prochain roman !

Bibliographie :
Une vie française, Jean-Paul Dubois, Éditions de l’Olivier, 29,95 $

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