L’auteure revisite librement la vie de l’écrivaine anglaise Virginia Woolf en remettant son œuvre dans le contexte de l’époque où il n’était pas bon d’être une femme et d’avoir des envies d’écrire. Woolf a tout de même suivi sa voie, au-delà des convenances, et est parvenu à se loger dans l’écriture, malgré les difficultés extérieures et intrinsèques qui la menaient aux abois. Avec fluidité et éloquence, Favier parvient à capter l’essence de cet esprit libre du XXe siècle. 

Pourquoi avoir choisi de vous intéresser à la figure de Virginia Woolf?
Virginia Woolf est une figure mythique de la littérature, mais c’est avant tout un modèle pour les écrivaines, une « grande sœur ». C’est l’une des premières femmes à publier directement sous son nom et non sous un nom d’homme, et à connaître la célébrité de son vivant. Elle a montré le chemin. Pour moi qui entame mon parcours de romancière, qui commence seulement à m’autoriser à être l’écrivaine que je suis, me glisser dans les pas de la petite fille, de l’adolescente qu’a été Virginia, était une manière de grandir avec elle, de devenir écrivaine en racontant la manière dont elle-même le devient. Ainsi elle m’a accompagnée vers ma liberté, en même temps que j’essayais de comprendre comment elle a su conquérir la sienne.

Pourquoi avoir préféré la fiction pour aborder la vie de l’écrivaine anglaise?
D’abord parce que je suis romancière avant tout. Le travail de biographe, d’historien, est tout différent. Il est passionnant, mais il ne me permet pas d’avancer dans ma quête de compréhension du monde et de moi-même comme me le permet la fiction. La fiction est le lieu de l’incertitude, de l’hypothèse, et donc de tous les possibles. Je ne voulais pas établir de quelconques « vérités » sur Virginia, je voulais avoir la possibilité d’assumer ma subjectivité. Et cela me permet aussi d’universaliser mon propos : c’est moins un livre sur Virginia Woolf que sur la manière dont on s’empare de sa liberté. Ce qui d’ailleurs était déjà le thème de mon premier roman.

Virginia Woolf écrit dans Les vagues : « Aucun de nous n’est complet en lui seul. » Qu’est-ce que l’œuvre de l’auteure vous a apporté ou plus généralement que peut-elle apporter à celui ou celle qui la fréquente?
Son intelligence et son humour sont exceptionnels, et font que son chemin d’écriture est une leçon pour quiconque la lit. Elle invente une forme littéraire non seulement sensible, mais au plus près de l’intime, elle n’hésite pas à entrer dans le cœur des contradictions humaines, des failles, elle scrute les petitesses en elle et en autrui, avec un sens de l’autodérision et une puissance poétique qui font que son œuvre appartient à la grande, à l’immense littérature. Mais sans que cela ne soit écrasant : le point de vue intimiste qu’elle adopte permet l’identification, et paradoxalement, c’est ainsi qu’elle autorise le lecteur à élaborer sa propre vision du monde. C’est véritablement de la littérature qui aide à vivre.

L’époque et le milieu dans lequel Virginia Woolf évolue la conditionnent à la conformité. Qu’est-ce qui fait selon vous qu’elle conservera jusqu’au bout ses velléités d’écriture et qu’elle demeurera, somme toute, un esprit libre?
C’est sans doute l’une des questions les plus difficiles à résoudre : qu’est-ce qui fait que le génie éclot à tel endroit, à tel moment, alors que mille raisons semblaient interdire cette éclosion ? Qu’est-ce qui fait que l’on prend son destin en main, alors que rien ne nous y prédispose? Encore une fois, il me semble impossible de donner ici une réponse définitive. Mais si je dois vraiment avancer une explication, il me semble que c’était tout simplement pour elle une question de survie. Tout ce qu’elle a pu traverser — inceste, deuils, oppression patriarcale —, l’immense solitude surtout dans laquelle elle a grandi, l’a obligée à s’inventer un destin débordant le cadre de celui que l’on avait prévu pour elle.

Photo : © Astrid di Crollalanza

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