Emily Schultz : Les blondes ont plus de fun?

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Et si toutes les boucles d’or de la planète étaient soudainement sujettes à contracter un étrange et dangereux virus? C’est ce qu’imagine l’écrivaine canadienne Emily Schultz dans son roman Les Blondes. Parce que les blondes n’ont pas toujours plus de fun

« C’était mon anniversaire. J’avais envie d’essayer quelque chose de nouveau. J’avais envie d’être blonde. » Il y a huit ans, Emily Schultz s’assoit dans un des fauteuils du salon Shampoo, au cœur du Kensington Market de Toronto. « Peux-tu me faire ressembler à Grace Kelly? », demande- l’écrivaine à la coiffeuse qui lui joue déjà dans les cheveux. « On peut faire mieux que Grace Kelly », lui répond celle qui ne manquera pas à ses promesses. Deux heures plus tard, Schultz peine à se reconnaître dans le reflet d’un miroir pourtant ni déformant ni truqué. Au cours des quatre mois qui suivront, la jeune femme apprendra (souvent à ses dépens) ce que signifie être lourdement draguée comme une blonde, ce que c’est qu’aimanter les regards comme une blonde et ce que signifie être détaillée des pieds à la tête comme une blonde. Un compte en banque en souffrance (parce qu’il coûte cher d’être blonde lorsque le génie des gènes en a décidé autrement) finira par contraindre Emily à retrouver sa couleur foncée naturelle, raconte-t-elle dans The blond inside me, court récit mi-amusé, mi-stupéfait de sa période blonde, publié sur le web en marge de la parution de son roman Les Blondes.

« J’ai beaucoup aimé être blonde, assure-t-elle, c’est assez amusant d’avoir l’air de quelqu’un d’autre pendant un bout, même si dans ce texte je m’intéresse surtout aux aspects négatifs, que je ne soupçonnais pas. Cette expérience a sans doute contribué à faire germer l’idée à la base de Les Blondes, oui. Les crises du SRAS et de la grippe aviaire, qui ont rendu les Torontois complètement fous, m’ont aussi inspirée. La paranoïa avait gagné la ville, les gens marchaient dans les rues avec des masques en papier. J’ai ce souvenir précis d’une dame seule au volant de son gigantesque VUS qui portait un masque en papier au visage. »

Satire apocalyptique, roman d’apprentissage dystopique, suspense catastrophe à l’humour irrésistible; Les Blondes n’est étonnamment pas narré par une blonde, mais bien par une rousse, Hazel Hayes, étudiante en esthétologie qui séjourne à New York lorsque la ville tombe sous le violent joug de qu’on appellera bientôt la « furie blonde ». La « furie blonde » qui n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le surnom d’une nouvelle starlette, plutôt celui d’une étrange maladie transformant les femmes (blondes, bien sûr) infectées en effrayantes cousines de Hulk le géant vert, bêtes sanguinaires, invraisemblablement tolérantes à la douleur et complètement irraisonnables, qui n’ont pour objectif que de répandre leur virus.

Autant de monstrueuses incarnations de l’hystérie au féminin (goûtez-moi un peu le corrosif commentaire social dissimulé sous des prémisses romanesques complètement farfelues) qui plongeront la planète entière dans un état de panique (frontières bouclées à double tour, droits de la personne révoqués, confinements abusifs, rangées des teintures à cheveux dévalisées) digne de la plus grave des attaques terroristes. Et qui contraindra Hazel à un rocambolesque sauve-qui-peut, ponctué de scènes d’horreur et de séjours en quarantaine sous supervision armée, Manhattan étant l’épicentre de la crise.

« J’ai écrit une partie du livre dans une cabane dans le désert en Californie, pas loin de Joshua Tree, explique Schultz. Et il y avait une base militaire vraiment pas loin. C’était à l’époque où les États-Unis envoyaient encore ses troupes en Afghanistan. On pouvait entendre les soldats s’entraîner au bout de la route et je crois que ça s’est insinué dans le livre sans que j’y puisse grand-chose. »

Le calme relatif qui règne habituellement sur la planète cédera ainsi en quelques heures sa place au chaos le plus total. Et si la ligne qui séparait la cohésion sociale du désordre n’était en fait qu’un fil de fer sur lequel nous marchons tous collectivement, esclaves du moindre vent de panique? Sommes-nous aussi proches de l’apocalypse que votre roman le sous-entend, Emily? « J’espère que non. Mais il faut quand même garder en tête que les choses peuvent changer très rapidement. Il faut se méfier. La confiscation des droits de la personne et la militarisation de la vie quotidienne sont des réalités auxquelles nous faisons de plus en plus face. Le roman est peut-être en ce sens un avertissement. C’est aussi un avertissement dans la mesure où Hazel ne se sent concernée ni par sa propre vie, ni par le monde qui l’entoure, jusqu’à ce qu’elle soit confrontée par sa grossesse, par ses relations qui foutent le camp et par l’épidémie. »

 

Dans mon corps (il y a des changements)

« Je voulais que le corps de Hazel soit comme la société, qu’il change au même rythme que la société change et qu’il lui devienne jusqu’à un certain point étranger », explique Emily Schultz au sujet de la grossesse de sa narratrice, qui raconte à son enfant à naître tout au long de Les Blondes les événements l’ayant empêchée d’avorter (son intention de départ, le père étant son directeur de thèse, marié) et qui l’ont forcée à fuir quelque part dans la forêt canadienne la déliquescence d’un monde au bord de la fin. Quelque part comme au chalet de son amant de professeur, où l’attendra la femme cocufiée de celui-ci. Les deux rivales, malgré la haine viscérale et l’amertume, n’auront d’autre choix que de différer les disputes.

« Hazel est un personnage essentiellement gentil, c’est une fille presque totalement aimable, sauf qu’elle a commis une erreur : coucher avec un homme marié, rigole Schultz. Je me suis demandé quelle était la pire chose que je pouvais lui faire subir. L’enfermer dans un chalet avec la femme de cet homme, dont elle est enceinte en plus, me semblait parfait! »

Alors dites-nous, Emily, vous qui avez vécu l’expérience blonde pendant quelques mois, les blondes ont-elles plus de fun, comme le veut le vieil adage? « Oui et non. Chaque couleur de cheveux correspond à un stéréotype. Parfois, les gens embrassent ces stéréotypes. Il y a plusieurs études qui montrent qu’on s’attend des blondes qu’elles soient plus amicales et ouvertes. Il y a sans doute des blondes qui se fondent à ces stéréotypes parce que c’est ce qu’on attend d’elles, parce que c’est ce que ça veut dire être blondes. Ce qui est sûr, c’est que les femmes sont très passionnées quand il est question de leurs cheveux. Je le sais, je le suis moi-même beaucoup! »

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