« Je peux m’acheter de bons outils! » La réponse fuse. Au bout du fil, la voix est aussi menue que le corps qui se dessine sur les photos. Mais il ne faut pas s’y fier. Catherine Poulain est une force de la nature… dans le sens qu’elle aime la nature, elle y est chez elle, ses racines y sont solidement ancrées, elle y puise sa force, son cœur bat et vibre au rythme des saisons. Nature et force se marient donc en elle et cette union-là lui est acceptable. Pas l’autre, pas l’expression qui la transforme en créature hors norme. 

Ainsi, quand vous lui demandez comment elle se décrit, elle y va d’un simple « Je suis une bergère ». Une vraie, qui a connu la solitude des alpages et le froid mordant des hivers, haut dans les montagnes. Elle a aussi pêché pendant une décennie en Alaska — « Si je n’avais pas été expulsée à cause de mes faux papiers, j’y serais encore. » Elle a été serveuse à Hong-Kong — « Mon premier voyage, j’étais toute jeune, le copain avec qui j’y suis allée s’est vite trouvé une autre petite amie et, de mon côté, je me suis fait voler mon argent. J’ai dû me trouver un emploi. »

Elle a également trouvé une place sur les chantiers navals américains et dans une conserverie de poissons islandaise. Elle a été travailleuse agricole au Québec et en Colombie-Britannique de même que dans les vergers et les vignes de sa France natale. « Je ne voulais pas être à l’abri, je désirais connaître le monde, être dehors, courir. »

De ces métiers de la terre et de la mer, elle a tiré un premier roman, Le grand marin, publié en 2016, auréolé de prix et vendu à quelque 230 000 exemplaires. Elle sort ces jours-ci Le cœur blanc, entre autres en nomination pour le prix Jean-Giono — car s’il y avait du Melville dans le premier, qui se déroule sur les mers glaciales du Nord, on entend un écho du chantre de la Provence dans le deuxième où, sous sa plume, le Sud s’embrase.

Naître à 56 ans
Un roman rude et rugueux porté par une écriture pure, parfois tendre, souvent dure. Un roman où la tension monte en même temps que le désir, et avec lequel Catherine Poulain prouve qu’elle n’était pas la femme d’un seul livre. La question s’est en effet posée. Combien d’artistes « naissent » dans l’œil public à 56 ans? C’est l’âge qu’elle avait à la parution du Grand marin.

Fille de pasteur protestant, sœur de quatre sœurs, elle avait toujours écrit. Ses voyages, ses métiers, ses rencontres, d’aussi loin qu’elle s’en souvient, elle les a couchés dans des carnets. Elle en possède une bonne cinquantaine. « J’ai toujours eu le besoin d’écrire. Le rêve d’être écrivain, peut-être aussi. Mais pour écrire, il faut vivre. Je crois. Je n’avais donc pas le temps d’être écrivain parce que la vie m’attendait. »

Tout va changer lorsque, bergère dans les Hautes-Alpes, elle sert de guide à une écrivaine qui s’intéresse aux loups et à qui elle raconte des bribes de ce qu’elle a vécu. La femme « connaît tout le monde dans le milieu » et lui demande quelques pages, un synopsis, peu importe, à présenter aux éditeurs. Quelques semaines passent. Et, alors qu’elle est de retour dans les montagnes avec ses « belles brebis », appel d’Olivier Cohen, fondateur des Éditions de l’Olivier. Il veut la rencontrer « tout de suite ». Dix jours plus tard, elle a un contrat en poche. Le grand marin paraît quelques mois plus tard.

Ce qui a suivi, Catherine Poulain ne s’y attendait pas. Le tsunami d’intérêt déferlant sur elle. L’impression de désappropriation. Au risque de sembler « faire la difficile » aux yeux de certains, elle affirmera : « Le succès m’est tombé dessus et… j’ai eu un peu honte. Les journalistes ont parlé de moi comme d’une femme extraordinaire et j’ai trouvé ça ridicule. J’étais la femme que j’ai toujours été. » Cette femme est simple et modeste. Elle a réussi à le rester. D’où sa réponse spontanée à la question du succès, ce qu’il a changé pour elle : « Je ne suis plus dans la précarité, je peux faire des cadeaux… et m’acheter de bons outils! »

Franchir la montagne
Ces outils, elle les a utilisés pour retaper la maison, sa maison rouge, dans le Médoc, au nord de Bordeaux, « entre vignes et forêt ». Un nid de et dans la nature, qu’elle quitte quand il le faut. Et où elle revient aussitôt. Catherine Poulain ne fleurit pas sous la lumière des projecteurs et son intégrité n’a pas de prix.

Ce qui explique pourquoi elle a commencé l’écriture du Cœur blanc avec un sentiment d’affolement. « J’étais terrifiée, paralysée. Puis, je me suis dit que je devais le faire. Une fois que ce serait fait, ça irait mieux. Le livre à venir était là, devant moi, comme une montagne énorme. Il fallait que je la franchisse, autrement, j’allais rester coincée là. » Les montagnes, la bergère les connaît. Elle en a commencé l’ascension. Un pas à la fois. Un mot à la fois. Une fois le sommet atteint, le livre écrit, elle aurait accès à l’horizon et pourrait se projeter vers les lendemains.

Les gens l’attendaient, l’espéraient peut-être encore une fois dans les mers nordiques. Elle leur a donné le soleil méditerranéen qui plombe sur les travailleurs saisonniers. Des hommes, surtout. Et quelques femmes. Ici, Rosalinde, cette fille « qui n’a ni cul ni seins », mais qui suscite le désir; là, Mounia, qui rêve du rocher de Gibraltar. Un roman qui, contrairement au Grand marin, n’est pas autobiographique, mais qui a poussé sur son expérience du métier et de ses gens. De certaines peurs ressenties. « Ça a été extraordinaire d’inventer une histoire, de voir les personnages naître et prendre vie. J’ai trouvé là une autre forme de liberté. »

Assez pour se sentir maintenant à sa place? Le rire coule. Il est doux et chaud. Il dit « Pas vraiment ». Mais. « En même temps, c’est très intéressant cette idée de se dire : “Mais qu’est-ce que je fous là?” Peut-être que c’est ce que je recherche : ne pas être à ma place, et chercher comment on fait pour s’en sortir. »

La quête de Catherine Poulain n’est, en ce sens, pas terminée. Heureusement. Il y a encore tellement de vies à dire dans ses carnets.

Photo : © Maurice Rougemont

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