Caroline De Mulder : Elvis, cette créature de paillettes

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À la lecture du roman Bye Bye Elvis, certains fidèles du King seront bousculés par ce portrait sans fard, dévoilant au grand jour les démons intérieurs de cette légende du rock’n’roll. Dans une œuvre touchante alternant, de chapitre en chapitre, entre une biographie d’Elvis Presley et l’histoire de John White, un vieil Américain demeurant à Paris, l’écrivaine belge Caroline De Mulder soulève une juteuse interrogation : et si Elvis n’était pas mort?

La scène d’ouverture engendre des frissons : on assiste à l’enterrement d’Elvis, avec ces limousines blanches, ces gerbes de fleurs par milliers, ces policiers par centaines et cette foule, formée de plus de vingt mille admirateurs, endeuillés et irrationnels, qui ne laisseront derrière eux que poussière et terre piétinée… Puis, le roman continue, retrace le parcours du King, son enfance, ses heures de gloire. « Elvis est un personnage candide, excessif et qui n’a jamais réussi à grandir. Un enfant blessé par excellence. La grande beauté d’Elvis l’avait au départ féminisé, mais il a été moins été épargné par l’âge que d’autres. À la fin de sa vie, c’était un enfant malade qui s’est retrouvé dans le corps d’un “monstre” », explique Caroline De Mulder, qui décrit ainsi un Elvis « traqué dehors, piégé dedans ». Mais on découvre également dans ce roman un certain John White, américain, vieux et mal-en-point : « John White, c’était un magasin de porcelaine dans un éléphant », lit-on.Un homme fragile dont l’âge est exactement celui qu’aurait Elvis…

Mais si Elvis tient la vedette de son roman, Caroline De Mulder – qui n’était aucunement adepte de sa musique et encore moins de ses films – n’avait pas expressément l’idée de parler du chanteur au déhanchement controversé : « Au point de départ, je m’intéressais à ces disparitions d’hommes et de femmes qui, du jour au lendemain, décident de quitter non pas la vie, mais leur vie. Des fuites volontaires. Une sorte de “suicide social” […] Cette question m’a amenée à envisager la situation complexe de quelqu’un de célèbre. Quel intérêt, financier mais aussi du point de vue de la gloire personnelle, y a-t-il de feindre la mort plutôt que de rester vivant? Or cette idée-là prenait beaucoup plus de relief si l’objet du culte décidait d’y échapper, en disparaissant… », livre l’auteure, fascinée par cette idolâtrie du public qui broie une personnalité. « Le déclic, pour moi, a été de découvrir pourquoi il y a cette croyance, aux États-Unis, selon laquelle Elvis est vivant : parce que lors de sa mort en 1977, il avait tellement intérêt à faire semblant de mourir… C’est une croyance toujours vivace. Pas un jour ne se passe sans que quelqu’un ne reconnaisse ou ne photographie Elvis toujours vivant. Bien sûr, c’est très américain comme raisonnement, “on nous cache la vérité”, etc., mais cela révèle aussi de l’affection, l’envie de le savoir parti en gloire. Et puis, mort, il est devenu bien plus riche que s’il était resté vivant. »

Dans les blue suede shoes de Presley
« Je pensais d’abord écrire une fiction pure et simple : Elvis enfui, Elvis caché, Elvis a réussi à sauver sa peau de l’amour féroce de ses adorateurs. Elvis is not dead. Une hypothèse que je trouvais drôle et acide. Mais pour imaginer Elvis vieillissant, puis vieux – même si le roman ne permet pas d’affirmer que John White est bien Elvis, c’est au lecteur de trancher –, il fallait d’abord le connaître le mieux possible jusqu’à ses 42 ans. Et j’ai donc exhumé l’homme, l’adolescent, l’enfant. Puis, à partir de là, j’ai construit, imaginé, tout en essayant de respecter ce que je crois être l’essence de cet homme. In fine, même le personnage totalement fictif de John White a un pied dans la réalité », explique l’auteure. La vie d’Elvis ayant fait couler beaucoup d’encre, c’est à plusieurs mois de recherches que s’est attelée Caroline De Mulder, qui a lu les principales biographies d’Elvis, les témoignages de ses proches (ses collègues, ses fans, ses femmes), a regardé ses concerts et ses films, a étudié sa manière de parler, de bouger, ses garde-robes successives, ses objets fétiches, le plan de sa demeure de Graceland : « C’est bien sûr quelqu’un dont on a énormément parlé, mais discerner l’homme là-dedans était un travail à part entière. Il y avait là quelque chose de nouveau à aller chercher. Par ailleurs, si j’ai considéré avec beaucoup de prudence les nombreux témoignages, je me suis fiée aux biographies qui confrontaient différentes versions du même événement. »

L’image versus l’homme. Voilà l’éternelle question à laquelle plusieurs biographes se frottent. Mais De Mulder n’est pas une biographe, elle est une écrivaine de fiction à part entière, dont l’écriture rythmée et allègre rappelle une certaine urgence de vivre, un certain riff de rock’n’roll, qui empoigne le lecteur. Et jusqu’à la dernière ligne, celui-ci cherche à comprendre ce qui relie ces deux hommes enlisés dans une solitude palpable. « Il ne s’agissait pas tant de montrer les côtés peu glorieux d’Elvis, que de ne pas occulter ses fragilités – à mon sens touchantes. Je n’ai d’ailleurs aucun scrupule à dire qu’au fil de l’écriture, j’ai fini par aimer Elvis – le vrai, pas l’image. Et j’espère que le lecteur l’aimera aussi. »

Assurément.

 

Photo : © MB Seillant

 

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