Camille Laurens : Les mots de la différence

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L'indexMoins de 10 ans après la publication de L'index, son premier roman, Camille Laurens accède aujourd'hui à une flamboyante reconnaissance publique, tant critique que littéraire. Avec Dans ces bras-là, roman à l'originalité emballante et à l'écriture fort sensible, l'écrivaine française cumule les nominations aux prix littéraires. Rencontre avec une romancière " goncourable ", dorénavant incontournable. « Si on pouvait se nommer, si on pouvait se présenter dans l'évidence de son sexe, dans la certitude son être,(…) on n'écrirait pas, je n'écrirais pas, je vivrais peut-être ».

Quelle importance ces nominations ont-elles pour vous ?

Elles signifient la reconnaissance d’un public populaire et littéraire Que je ne remporte aucun prix ne change rien : cette reconnaissance existe. Jusqu’ici, j’étais plutôt un écrivain confidentiel, avec peu de lectorat.

Vous enseignez dans des classes de première. Peut-on supposer que le Goncourt de lycéens représente plus pour vous ?

Oui et non. Cela dit, je connais bien ce prix mais je ne crois pas que ce soit le meilleur public pour mon livre. J’ai rencontré quelques-uns de ces adolescents et je vois bien que mon roman comporte une somme d’expériences pour lesquelles ils n’ont pas forcément la maturité. Outre l’enfance et l’adolescence de la narratrice, ils sont souvent déconcertés face au reste de l’histoire.

Vos quatre précédents romans composaient une tétralogie. Dans ces bras-là s’inscrit-il dans un nouveau cycle romanesque ?

Je ne sais pas, c’est autre chose. Dans ces bras-là est plus biographique, c’est une autre étape. Si c’est le début d’un cycle, il a commencé avec Philippe, que j’ai écrit en 1995, et qui racontait la mort de mon petit garçon. Évidemment, la question du  » je  » est de plus en plus présente dans mon œuvre.

Jouer avec les lois du roman et transgresser les limites de la fiction, est-ce une façon de cerner au plus près la vérité ?

On pose ici le problème de l’identité car, lorsque qu’un romancier, homme ou femme, dis  » je « , on ne peut pas vraiment savoir de qui ni de quoi il retourne. Il y a toujours une part de fiction dans notre perception de nous-mêmes : on se voit à travers le filtre de l’imagination. C’est la raison pour laquelle je dis que tous les hommes sont imaginaires. Même s’ils ont réellement existé dans ma vie, à partir du moment où c’est moi qui en parle avec ma sensibilité et le regard que j’ai sur eux, ils deviennent en quelque sorte imaginaires. Cette part de fiction me permet de trouver la vérité.

D’ailleurs, je vous cite :  » La vérité est ce qui s’écrit « . Cette passion pour les mots-aimants, que vous évoqué si justement, vous a-t-elle mené vers l’écriture ?

Oui, complètement. Cette amour de la langue permet une recréation du monde par les mots. Ce que je raconte est d’abord pour moi une façon d’être entourée : je suis pleine d’hommes mais avant tout pleine de mots. Phonétiquement, tourner le mot  » mot  » à l’envers, et ça fait  » homme « ! (rires)

Dans un court chapitre de votre roman, la narratrice réduit son père par l’énumération de ses phrases fétiches et vous dites :  » elle écrit parce qu’il se tait « . Écrire, c’est combler le manque du père ?

Oui, c’est dire quelque chose qui n’a jamais été dit, c’est utiliser la langue là où d’autres ont préféré le silence. C’est aussi une manière de faire éclater la parole que l’on a trop souvent tu pendant l’enfance.

Votre roman est écrit pour les hommes et exclu les femmes. Peut-on s’attendre à ce que vous exploriez un jour l’univers féminin ?

Certainement. Ce sujet est tout un roman à lui seul et j’avais pris partie de ne pas en parler. Je croyais que Dans ces bras-là était destiné aux hommes mais je vois bien, aux réactions que j’ai, que c’est aussi un livre sur les femmes. Plusieurs lectrices se reconnaissent dans le regard que mon personnage porte sur les hommes. Paradoxalement, les femmes ne sont pas absentes de mon texte : elles sont là, en négatif, comme une photo.

Dans ces bras-là est un roman sur la recherche d’une identité féminine conçue à travers les différences du masculin…

Proust dit que la littérature est la vraie vie. L’écriture vient du manque, de la quête du désir car, si on est comblés, on n’écrit pas. C’est une quête infinie : l’amour et l’écriture tendent tous deux vers le même horizon inaccessible, là où il n’y a pas de réponse possible. Voilà ce qui rend cette quête si belle : continuer à questionner et à désirer, même en sachant que l’aventure est vaine.

***

Dans ces bras-là, P.O.L.
Philippe, P.O.L.

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