Auður Ava Ólafsdóttir : Paysages oniriques

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L’Islande intrigue par plusieurs aspects. La géographie, la langue, les volcans et les aurores boréales de cette « terre de glace » particularisent cette région du monde qu’on dirait parée de paysages imaginaires. Peut-être parce qu’elle vient de ce coin de pays, Auður Ava Ólafsdóttir déploie un univers romanesque truffé de parcelles étonnantes.

C’est la première fois qu’elle foulait le sol québécois. Atterrie depuis peu, nous l’avons rencontrée dans un petit café de la rue Cartier que le soleil nimbait de lumière chaleureuse. Le lieu et l’atmosphère étaient propices à l’aura poétique dont est assortie l’écriture d’Ólafsdóttir.

Le livre qui l’a fait découvrir au Québec est sans nul doute Rosa Candida, avec lequel elle a d’ailleurs remporté le Prix des libraires du Québec en 2011. Son plus récent roman traduit en français, Le rouge vif de la rhubarbe, est paru aux éditions Zulma, là où est publiée l’entièreté de ses livres traduits en français. Ce dernier roman qui nous est arrivé à l’été 2016 est en fait le premier que l’auteure a écrit. On y suit Ágústína, une jeune fille pourvue de drôles de jambes qui l’empêchent d’en faire usage normalement, ce qui ne décourage en rien ses idées de grandeur, comme celle de gravir une haute montagne. Déjà, on retrouve plusieurs éléments des livres qui suivront, soient la poésie, l’humour, la marginalité, le voyage et l’enfance.

L’influence des origines
Ambitionnés par le dépassement, aspirés à être plus grands qu’eux-mêmes, les personnages d’Ólafsdóttir portent en eux le rêve, mais aussi la volonté – ou serait-ce la folie – de les réaliser. À l’instar de ses personnages, l’auteure possède ce don du rêve, peut-être en elle à cause de ses origines d’insulaire du Nord. « Ma particularité c’est surtout d’écrire en islandais, dans une langue que personne ne comprend, sauf les 330 000 habitants de l’île; l’île noire comme je l’appelle puisqu’il n’y a pas de forêts, pas d’arbres comme chez vous. » La langue n’est jamais qu’une langue, elle est imprégnée de l’histoire et des mouvements de son peuple – celui de l’Islande est entièrement indépendant de l’Europe depuis 1944 -, de ses mœurs, de ses valeurs et de ses légendes. « Dans chaque langue il y a une pensée propre », ajoute l’écrivaine.

La nature influence également celui ou celle qui écrit. Elle est d’ailleurs très présente dans les livres d’Ólafsdóttir qui considère elle-même le paysage comme étant un personnage à part entière. En ce sens, ses livres se rapprochent sous certains aspects du genre littéraire du nature writing. Que l’on vienne d’un milieu humide, froid ou tempéré, l’écriture ne reflète pas de la même façon. « La nature c’est vraiment quelque chose qui forge notre caractère, elle est en nous;  en Islande elle est chaotique, imprévisible, capricieuse, dangereuse. » Cela explique peut-être le vertige installé dans les personnages de l’Islandaise. L’isolement et l’aridité du territoire, mêlés aux fulgurances volcaniques qui le composent, révèlent des protagonistes aux dimensions épiques. Empreints d’une naïveté manifeste, ils sont aussi dévorés par un feu brûlant. Comme le jeune Arnljótur, le personnage de Rosa candida, qui ne pense qu’aux fleurs et aux jardins et qui sera forcé d’accueillir d’autres réalités.

La théorie de l’évolution par l’art
Jusqu’à l’an passé, Auður Ava Ólafsdóttir exerçait le métier de professeure d’histoire de l’art, une occupation qu’elle aimait beaucoup. « Il y a souvent une image à l’origine de ce que j’écris, qui se retrouve à la fin cachée sous une couche de textes. En tant qu’historienne de l’art, il y a des milliers d’images qui sont passées par ma tête. J’écris en images, ça fait partie de mon style, très visuel. » Mais malgré sa passion pour l’art visuel, il était temps pour elle de se consacrer totalement à l’écriture, qu’elle considère avoir commencé sur le tard, convaincue qu’elle avait tout le temps devant elle. « C’est vraiment cette idée qu’en Islande, on fait partie de l’éternité parce qu’en été il n’y a pas de division entre le jour et la nuit. » Bien qu’elle ait vécu une dizaine d’années à l’étranger, elle est retournée s’établir en terre d’Islande. « Ce qui me manquait, c’était le silence; l’Islande est comme un grand monastère, tout l’espace intérieur de l’île n’est pas habité, et même dans le centre de Reykjavik où j’habite, on se réveille avec le silence. » À cause de la lumière du soleil qui est perpétuelle en certaine saison, grâce à la blancheur du silence qui invite à l’introspection, l’horizon islandais n’est peut-être pas tout à fait le même qu’ailleurs.

Sur les sujets de lire et d’écrire, l’auteure ne craint pas de l’affirmer : « Un livre peut sauver une vie. L’art est une expérience qui change la manière de regarder le monde. Pour moi la beauté ne réside pas dans un objet. La beauté c’est d’avoir une idée neuve de soi-même. » L’art permet cette découverte. Et en tant qu’écrivaine, Ólafsdóttir cherche constamment quelque chose qui viendra déstabiliser le lecteur pour amorcer un premier mouvement, et éventuellement une transformation. L’art invite à la réflexion, agit sur les consciences et est l’initiateur des changements personnels et sociaux. L’écrivain observe et par une alchimie de mots dont lui seul a le secret, il fait voir ce qui sort du cadre. Les artistes ne sont-ils pas les avant-gardistes de notre monde? Ce qui fait appel à la notion de voyage, autant dans le fait de partir de ce qui est connu que celle d’aller à la rencontre de soi. « L’art c’est un peu comme le voyage. Quand on voyage, on perd ses repères habituels. Le voyage initiatique est un motif qu’on peut trouver dans tous mes livres. » Dans son roman L’embellie, la narratrice vit une rupture amoureuse, premier tremblement d’une suite d’oscillations et de remises en questions à venir. L’autre a aussi une importance majeure dans les œuvres de l’auteure, il y a beaucoup d’humanité dans les romans d’Ólafsdóttir. Dans L’exception, María, l’épouse éplorée, obtiendra le soutien de Perla, sa voisine, experte en déboires conjugaux. Tant réel que métaphorique, le voyage modifie les perspectives.

La poésie comme un pain quotidien
Les accents poétiques figurent aussi comme caractéristique principale de l’œuvre d’Auður Ava Ólafsdóttir. Ce qui n’est pas surprenant puisque c’est ce qu’elle lit le plus. Elle commence sa journée en lisant de la poésie, comme un rituel qui la met dans un état particulier et qui influe le cours de sa journée. Elle dit même avoir toujours des recueils de poésie dans la boîte à gants de sa voiture, comme un outil de secours essentiel en cas d’intempéries. Quoi de plus normal pour une écrivaine qui nous incite toujours à tenter le voyage pour aller voir si nous y sommes.

 

Photo : © Nemo PerrierStefanovitch

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