Alexandre Postel : Un crime en héritage

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Alors qu’il remportait en avril le prix Québec-France Marie-Claire-Blais pour Un homme effacé, déjà couronné du Prix Goncourt du premier roman, son second ouvrage, L’ascendant, arrivait sur les rayons. Avec ces deux histoires d’hommes qui, face à l’absurde adversité, laissent le chaos s’emparer de leur destin, Alexandre Postel a retenu notre attention, alors que nous, nous retenions notre souffle.

S’il a un minois à faire fondre, mesdemoiselles, attention : Alexandre Postel, 34 ans, est loin de raconter des histoires pour minettes. De son écriture précise, bien ciselée et brillante, il nous pousse à accompagner, autant dans l’un comme dans l’autre de ses romans, un protagoniste masculin de qui la vie, par ses engrenages multiples, se moque. Si dans Un homme effacé, nous suivions le parcours d’un professeur de philosophie accusé de posséder du matériel pédopornographique, dans L’ascendant, c’est au tour d’un fils d’en pâtir, alors qu’il se voit impliqué, malgré lui, dans le crime sordide de son défunt père. Ce qui relie ces personnages? Ils s’enfoncent tous deux, en subissant plutôt qu’en réagissant, dans un tourbillon cauchemardesque. Ce sont deux êtres soumis à la passivité, thème que Postel exploite avec brio : « Notre vie consciente, sociale (et en particulier la vie masculine telle qu’elle est construite et représentée en Occident) est tout entière orientée contre la passivité, contre ce que Freud appelait la ‘’pulsion de mort’’ : il faut être efficace, performant, ‘’réactif’’ et même ‘’proactif’’, etc. Imaginer des personnages qui ne le sont pas serait peut-être alors une forme de libération. Par ailleurs, sur un plan littéraire, cela permet d’atteindre des situations qui sont à la fois angoissantes et, en un sens, comiques (même s’il s’agit d’humour noir) : cette tonalité me plaît. »

Les forces de l’engrenage
Parlant de situations angoissantes, Bernard Pivot (oui, le grand) a fait une analogie entre le second roman de Postel et le conte Barbe bleue. Et, bien sûr, il n’a pas tort. C’est qu’il y a un petit quelque chose qui nous est familier dans les premières pages de L’ascendant, alors que le personnage, vendeur de téléphones cellulaires, descend tranquillement dans la sombre cave de son père… Le lecteur le sait – la quatrième de couverture aura vendu la mèche –,  il y fera une découverte renversante : une femme, une cage. De là s’enclenchera, de façon pourtant logique, même pour le lecteur, cette étrange mutation d’innocent à témoin, de complice à bourreau. « Que des hommes séquestrent des femmes est, malheureusement, une réalité : c’est la matière d’un certain nombre de faits divers, et aussi de romans. Ce qui m’intéressait, c’était d’introduire dans cette situation exceptionnelle un individu ordinaire, en l’occurrence le fils du criminel. L’ascendant n’est pas un roman sur le séquestreur ou la séquestrée, mais sur un personnage qui se trouve dans un entre-deux, qui échappe à l’alternative bourreau pervers/victime innocente. Il est les deux à la fois, il s’identifie simultanément à la jeune captive et au père démoniaque, et, dès lors, son identité se fracture, devient pour ainsi dire béante et énigmatique », explique l’auteur.  

De fil en aiguille, dans ce court roman qui se lit rapidement, le souffle court, le fils s’entremêlera les pinceaux dans la façon dont il devrait réagir. Le lecteur peut le comprendre : qui pourrait en effet réagir promptement devant l’évidence que son propre père séquestre – on ne sait depuis combien d’années – une femme dans son noir sous-sol? Entre effroi et pitié, l’auteur nous convie à une parabole sur la filiation, qui vient alors densifier les prémisses, et sur le sentiment de culpabilité. « Cette histoire d’un fils qui, sans en avoir pleinement conscience, choisit d’endosser le crime dont il hérite plutôt que de renier son père, me semblait propice à capter, sous une forme saisissante, des sentiments dont l’ambivalence nourrit les textes de Freud, Kafka ou Philip Roth, développe Alexandre Postel. C’est ce qui donne à ce récit (si du moins il est réussi, mais c’est au lecteur d’en juger) la couleur d’un cauchemar : les événements qui surviennent dans un cauchemar sont étranges, mais ils ne nous paraissent pas pour autant gratuits, car ils expriment des émotions et des désirs puissants. » Pas pour les minettes, disions-nous!

Écritures
À la vue de l’ambiance insidieuse et de la nature de la trame narrative, nous nous interrogeons : pourquoi un tel roman dans la collection « Blanche » de Gallimard? « Plusieurs ‘’romans durs’’ de Simenon (notamment L’homme qui regardait passer les trains et Le bourgmestre de Furnes, qui sont parmi mes favoris) ont été publiés dans la collection Blanche. André Gide, l’un des fondateurs de la NRF, a relaté une affaire de séquestration (La séquestrée de Poitiers). Jacques Rivière, autre figure emblématique de la revue, était fasciné par Conrad. Autrement dit, les distinctions qu’on établit parfois entre ‘’blanc’’ et ‘’noir’’, ‘’écriture’’ et ‘’intrigue’’, n’étaient pas aussi tranchées aux premiers temps de la NRF qu’elles le sont à présent pour certains… Il y a quelque chose de gris, dès l’origine, dans cette collection Blanche! Et je retrouve cette excitante ‘’impureté’’ chez plusieurs auteurs de langue anglaise : John Le Carré, Graham Greene ou, dans un autre registre, Philip Roth. »

Une « impureté », donc, cet Ascendant? Mais, le charbon n’est-il pas cette impureté qui se transforme en diamant?

 

Un prix, ça change pas le monde, sauf que… ça fait connaître le Québec!
D’emblée, Alexandre Postel, qui cumule les honneurs, l’affirme : « Les prix ne sont pas une épée de Damoclès, mais un formidable encouragement! » Ce lauréat du prix Québec-France Marie-Claire-Blais, venu pour la première fois au Québec lors de sa tournée en avril dernier, à l’occasion du Salon international du livre de Québec, confie que cette expérience lui a permis « d’appréhender la réalité de ce qu’on appelle la francophonie, sa subtilité, sa complexité ». Si avant son voyage, il a découvert l’œuvre de Marie-Claire Blais, il attendra de visiter l’Abitibi et d’y rencontrer son auteure phare, Jocelyne Saucier, pour se plonger dans Il pleuvait des oiseaux. « Dans un cas comme dans l’autre, au-delà des différences de style, je suis frappé par une certaine exaltation de la marginalité, à la fois sociale et géographique. C’est, je crois, quelque chose de très nord-américain; et il est fascinant de découvrir comment la langue française peut s’approprier cette expérience, la déposer dans un rythme, un lexique et un imaginaire. » Entre nous, qu’un auteur voie son métier ainsi, « donner à voir ce qu’on voit intérieurement, chercher la qualité d’une sensation ou la nuance d’une émotion, c’est l’une des occupations les plus agréables que je connaisse », on prend ça comme un compliment!


Photo : © C. Hélie

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