Marie Christine Bernard, enseignante et romancière, cultive depuis longtemps un amour sincère de la culture autochtone, de sa vision du monde et de sa production artistique. C’est d’ailleurs par le truchement de la littérature que la richesse de ces peuples lui est d’abord apparue. Rencontrée dans le confort de son humble bureau du centre autochtone du Collège d’Alma, où elle est aussi intervenante, elle évoque avec enthousiasme et passion les tenants et aboutissants de ce monde qu’elle pénètre chaque jour plus qu’avant, consciente de son statut d’allochtone mais joyeusement férue des univers qui s’ouvrent sous ses pas. Si elle se réjouit de la récente éclosion de popularité de la littérature autochtone, elle n’en demeure pas moins très critique quant au chemin qu’il reste à faire.

Paraphrasant Thomas King, dont elle a beaucoup aimé le livre L’Indien malcommode, l’écrivaine affirme d’emblée que « le non-autochtone a dans sa tête un Indien idéal », tout comme le paletot rimbaldien. Forgé par l’imagerie hollywoodienne, un enseignement de l’histoire aussi bâclé que réducteur ou tout bonnement l’ignorance la plus crasse, l’imaginaire collectif du Québécois moyen quant aux Amérindiens est un havre de clichés qui se perpétuent de façon navrante depuis des décennies. « En esthétique de la réception, la notion d’horizon d’attente est essentielle : celle-ci fait état de la façon dont une personne donnée comprend, décode et juge un texte à l’aune des codes culturels qui sont les siens, à l’époque qui est la sienne. En ce qui concerne la littérature autochtone telle qu’appréhendée par les allochtones, il va de soi que cet horizon constitue un biais qui brouille les cartes et rend plus difficile la bonne compréhension des textes », indique-t-elle.

Faut-il donc s’initier pour être en mesure d’apprécier la poésie ou les romans écrits par des Autochtones? Pas nécessairement, quoique l’ouverture soit de mise : « La meilleure façon de connaître un peuple, c’est de passer par sa littérature. La vision du monde qui s’y exprime, pour peu que l’on y soit attentif, est un très bon indicateur des valeurs qui lui sont propres, du type d’humour qui le caractérise, des combats qui lui sont chers, des causes qui lui tiennent à cœur », dit-elle, haussant le sourcil. Cela tombe sous le sens, la production littéraire autochtone n’a que faire du regard compatissant d’anthropologues littéraires maladroits dans leur bon vouloir. Il ne s’agit pas de ça. Évoquant Kuessipan, de Naomi Fontaine, la femme de lettres s’écrie : « Voici une œuvre d’une puissance rare qui échappe au piège de l’essentialisme pour toucher à l’universel! » Car c’est bien de cela qu’il est question : toucher à l’universel tout en ne reniant pas ce qui fonde son identité.

L’émergence de voix autochtones au sein du discours ambiant revêt une importance capitale pour l’intervenante : « Une bonne proportion des Autochtones du XXIe siècle réside aujourd’hui en milieu urbain. La tutelle de l’État continue pourtant de les marginaliser en les empêchant indûment de participer à la vie en société – d’où parfois leur douloureuse nécessité de s’extirper des réserves pour en quelque sorte se donner une chance. S’éloigner du carcan, sortir du cadre, c’est quelquefois la meilleure façon de se retrouver et souvent la seule pour ne pas se perdre. » L’un des enjeux les plus sensibles en ce qui a trait à l’intégration des Autochtones à la vie québécoise contemporaine est ainsi celui de la place qu’ils y occupent : celle qui leur est laissée mais surtout celles qui sont encore à prendre.

Au cœur de la pratique littéraire de la romancière, dont le roman Matisiwin figure au programme de certains cégeps et à qui l’on doit également Polatouches, on retrouve le souci de l’exactitude et une démarche teintée de respect et d’authenticité : « L’un des dangers qui guettent les écrivains allochtones quand ils abordent des thématiques autochtones est celui de flirter avec le folklore. C’est un piège dans lequel il est facile de tomber, et c’est pourquoi je porte une attention particulière à ce que j’écris quand je mets en scène des personnages autochtones. Je consulte les principaux intéressés, je fais des recherches, je demande des permissions, bref, je m’assure que rien de ce qui sera finalement publié n’ira à l’encontre de mes intentions premières, à savoir la valorisation de cette culture et non pas sa récupération. »

Si celle-ci a pris l’habitude d’inclure des éléments autochtones dans ses romans, c’est d’abord et avant tout parce qu’elle aime cet univers : « C’est une culture de connivence, de non-dits, de complicité. La place du silence, entre autres, y est très importante. Il s’y passe beaucoup de choses et son contenu est peut-être plus rapidement intelligible aux Autochtones qu’aux autres, mais n’empêche, c’est une forme de narration que j’admire. De la même façon, le lien avec la nature ou le territoire, qui ne se fonde sur aucune notion de propriété, est d’une subtilité que je trouve aussi puissante que significative. Ce sont là des aspects dont la valeur est indéniable à mes yeux. » L’humour, aussi, occupe une place de choix au panthéon des traits autochtones qui ravissent la femme de lettres : « Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Autochtones sont très drôles et leur humour est d’une finesse qui n’est pas sans rappeler celle de l’humour juif. Pourtant, rares sont ceux qui saisissent bien la teneur de ce que d’aucuns appellent l’humour du carcajou : un mélange de puérilité apparente et d’autodérision particulièrement apte à susciter le malaise mais qui, lorsque bien compris, est férocement drôle. »

Qu’il soit question de ses inclinations de lectrice, de son quotidien d’enseignante, de sa pratique d’écrivaine ou de son travail d’intervenante au centre autochtone, Marie Christine Bernard fait chaque jour le pari de faire se côtoyer deux univers qui, de toute évidence pour elle, n’ont rien d’irréconciliable. On aurait tort de ne pas tâcher d’en faire autant.


Photo : © Karine Gagné

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