Chaque année depuis 1936, les Prix du Gouverneur général récompensent le talent canadien. Voici six entrevues-éclairs avec les plus récents lauréats francophones.

FRANÇOIS BLAIS

Photo : © Marie Blais

François Blais a d’abord écrit pour les adultes. Il publie son premier roman en 2006, Iphigénie en Haute-Ville. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il fera paraître un album jeunesse avec 752 lapins où l’humour, comme dans la plupart de ses œuvres, est présent. Lac Adélard (La courte échelle), pour lequel il se mérite le Prix du Gouverneur général, lui a déjà valu le Prix jeunesse des libraires du Québec dans la catégorie des 12-17 ans. C’est que cette histoire de lieu hanté a de quoi captiver!

Lac Adélard est votre premier livre pour jeunes adolescents et qui plus est, votre premier polar. Avez-vous abordé différemment le travail que lorsque vous écrivez des romans pour adultes ou des albums jeunesse?
Un peu, mais pas tant que ça. Par exemple, je n’ai pas essayé d’adapter mon lexique et mon style d’écriture pour me mettre « au niveau » de mon lectorat. De toute façon, même lorsque j’écris mes romans pour adultes, je m’efforce d’être clair et lisible. Par contre, quand j’écris pour la jeunesse, j’évite les digressions et je me concentre sur l’histoire et sur les personnages. Et puis, comme je publie dans la collection noire, et qu’il s’agit de « littérature de genre », je me permets d’utiliser des procédés que je n’ai pas souvent l’occasion d’utiliser. Par exemple, ce qu’on appelle « cliffhanger » dans le monde anglo-saxon, et qui n’a pas d’équivalent français satisfaisant, mais qui consiste simplement à laisser le protagoniste dans une situation périlleuse à la fin d’un chapitre, de manière à ce que la lectrice se sente obligée de tourner la page pour connaître le sort du personnage. J’adore faire ça, mais je n’ai jamais l’occasion de le faire dans mes romans destinés à un public adulte.

Quels auteurs aimiez-vous lire dans votre jeunesse et ont-ils été en quelque sorte une source d’inspiration?
Les premiers romans que j’ai lus, vers l’âge de 9 ans, sont ceux de la comtesse de Ségur. Je dirais que cette lecture m’a influencé dans la mesure où cela m’a fait réaliser qu’une autrice française écrivant au XIXpouvait être lue et appréciée par un lecteur québécois au début des années 80. Je ne comprenais pas tout, par exemple je n’avais aucune idée de ce qu’était un phaéton, un vicomte ou un pain à cacheter, mais cela ne m’empêchait pas de me laisser porter par le récit et de m’attacher aux personnages. J’en ai retenu que lorsqu’on écrit pour la jeunesse, il faut avant tout une bonne histoire et des personnages auxquels la lectrice peut s’identifier.

 

FRÉDÉRIQUE BERNIER

Photo : © Montréal Photo

Frédérique Bernier a étudié la philosophie, puis la littérature. Elle aime les œuvres dans lesquelles se mélangent l’essai, le carnet personnel et l’intertextualité. Son livre Hantises (Nota bene) s’inscrit dans ce genre puisqu’elle y expose en même temps qu’elle le questionne son attrait pour les zones d’ombre dont nous sommes peuplés, pensant trouver en elles des chemins insoupçonnés. Dans sa recherche, elle convoque des écrivains qui savent par leurs mots éclairer sa quête.

Considérant que Hantises fait part de vos zones d’ombre et de vos incertitudes, qu’est-ce que cela vous fait de recevoir le Prix du Gouverneur général pour ce livre?
C’est une grande joie et surtout un événement tellement inattendu! Il y a en effet quelque chose de presque contradictoire à se retrouver ainsi mise sous les feux de la rampe, à recevoir des honneurs publics alors qu’il s’agit d’un carnet écrit du fond de ma petite grotte de folle de littérature et qui témoigne d’un attachement à l’obscurité, celle que permettent justement d’habiter les œuvres littéraires. Je savoure la beauté de ce paradoxe.

Dans votre essai, vous évoquez plusieurs auteurs et philosophes. À quoi répond la littérature en vous?
Hantises est un livre traversé par les voix multiples des auteurs et des auteures dont la lecture a provoqué en moi un choc comparable — en intensité, en pouvoir de révélation et en possibilité de transformation — à celui qu’occasionne une rencontre amoureuse. J’y expose un rapport au monde marqué profondément par la littérature en tant qu’elle nous invite à l’abandon, à la joie de se perdre en l’autre et de se découvrir traversé par ce qui nous dépasse. Il y a là quelque chose qui relève d’une quête d’absolu assez intempestive. Que celle-ci trouve écho chez les lecteurs me ravit.

 

MARTINE AUDET

Photo : © Autoportrait

Autrice d’une quinzaine de livres de poésie, Martine Audet échafaude une œuvre qui visite la frontière entre ce qui est chargé de vie et ce qui nous fait tomber. Elle obtient en 2001 le prix Alain-Grandbois remis par l’Académie des lettres du Québec pour son recueil Les tables paru chez L’Hexagone. Dans La société des cendres (Du Noroît), elle poursuit un travail intimiste où les ombres sont filtrées par la lumière et où le grandiose côtoie le plus modeste.

La société des cendres suivi de Des lames entières est votre quinzième recueil de poésie. Que représente-t-il pour vous?
Tout en poursuivant mes questionnements sur comment nous appartenons au monde et mes expériences avec les mots, les images et le silence, ce livre m’a permis, entre envie de disparaître et résistance à la disparition, d’aller plus profondément dans les manques, les ruines, les mystères du cœur. Là où le poème, face à la douleur et à ses traces, face aux cendres et à l’immensité, demande : Que recueillir? Quoi disperser?

Après presque trente ans de pratique littéraire, qu’est-ce que la poésie vous a appris de plus important?
Parce que la poésie est une participation attentive au monde, une parole à l’écoute, soucieuse, chercheuse, tendue vers l’inconnu, je suis toujours, il me semble, dans l’étonnement et les apprentissages. Mais plus que tout peut-être, j’apprends, en écrivant des poèmes, à demeurer au cœur de ma propre expérience, sans certitudes certes, dans la frayeur parfois, avec patience, nécessité et ouverture.

SOPHIE LÉTOURNEAU

La performance de l'écriture de Sophie Létourneau | Arts | Le Quotidien - Chicoutimi
Photo : © Laurence Grandbois Bernard

Que ce soit avec Polaroïds, son premier livre, ou Chanson française, Sophie Létourneau s’intéresse à la part du réel dans la littérature. Elle y aborde la notion de vérité quand la réalité est confrontée aux souvenirs. Dans Chasse à l’homme (La Peuplade), elle poursuit son exploration en tentant de faire advenir le réel en suivant ce qu’une cartomancienne lui a prédit, c’est-à-dire la rencontre de l’homme de sa vie.

Dans votre récit, vous suivez les prédictions d’une cartomancienne qui vous dit que vous ferez la rencontre de l’homme de votre vie entre autres par le truchement d’un livre. Plus largement, croyez-vous que la littérature puisse avoir une emprise sur le réel?
Je crois que les œuvres fortes font événement. Que le monde n’est plus le même du moment que certains livres, certains écrits, certaines paroles ont été publiés, lus, entendues. Cela peut être très subtil, mais je crois que le rôle des auteurs et des autrices est d’affecter les lecteurs et les lectrices, de troubler les perceptions, de faire tanguer l’ordre des choses. On devrait toujours sortir d’un livre transformé. Autrement ce n’est pas la peine.

Vous demandez : « À qui appartient une histoire vraie? » Avez-vous trouvé la réponse?
Une histoire appartient à celles et à ceux qui l’ont vécue. Sachant qu’on n’est jamais seul à vivre, qu’on partage notre vécu avec celles et ceux qui nous entourent. Qu’on fait chacun et chacune partie d’une petite cosmogonie. C’est très important pour moi d’écrire en me rappelant que les autres ne tournent pas autour de mon soleil, que chacun et chacune suit son orbite, sa trajectoire, sa propre histoire.

 

MARTIN BELLEMARE

Diplômé en 2008 de l’École nationale de théâtre en écriture dramatique, Martin Bellemare est très vite récompensé pour son œuvre dramaturgique. Il reçoit le prix Gratien-Gélinas 2009 pour Le chant de Georges Boivin, pièce lumineuse sur le désir de vie et d’amour d’un vieil homme. En 2018, l’auteur rafle l’important prix Michel-Tremblay pour Moule Robert. Il écrit également du théâtre jeune public. C’est pour Cœur minéral (Dramaturges Éditeurs) qu’il remporte cette année le Prix du Gouverneur général.

Votre pièce Cœur minéral traite de l’enrichissement des sociétés minières qui se fait au détriment des populations qui occupent le territoire investi. Vous considérez-vous comme un auteur engagé?
Si ça veut dire se sentir concerné, alors oui. Mais je n’ai pas une posture d’auteur engagé dans le sens où je n’ai pas de liste de sujets. J’aime aborder des questions éthiques : des situations humaines qui expriment des désordres, des enchantements, des frustrations, rendre compte de ce qui me fait réagir, comme la question du suicide (La liberté), la culpabilité et l’ambition (Moule Robert), l’exploitation minière en Afrique de l’Ouest et la responsabilité canadienne (Cœur minéral).

Pourquoi avez-vous choisi la dramaturgie plutôt qu’une autre forme d’écriture?
Comme beaucoup, j’ai commencé par la poésie. Puis la littérature. Je gardais ce que j’écrivais pour moi. Le théâtre m’a trouvé. C’est un art de la rencontre, qu’on appelle vivant. Rien d’étonnant que ce soit lui qui m’ait ouvert la porte. Cela dit, les formes et les genres vont en se croisant et en se liant. Souvent, sans l’étiquette, sans le mot qui catégorise le livre : « poésie », « roman », « théâtre », il serait bien difficile de deviner à quel genre il appartient. Tout se lit.

 

KATIA CANCIANI et GUILLAUME PERREAULT

Katia Canciani est une aviatrice passionnée par l’écriture. Elle fait paraître en 2006 Un jardin en Espagne (David), un premier roman qui sera bientôt suivi par plusieurs parutions pour la jeunesse, notamment l’album Sofia et le marchand ambulant (Les 400 coups, 2019) ou encore Pique la lune (L’Isatis, 2015). Elle espère semer chez les jeunes l’amour des mots et les valeurs de confiance en soi et de ténacité. Dans Pet et Répète, illustré par Guillaume Perrault, elle nous dévoile au grand jour les dessous de cette blague racontée depuis des générations.

 

Question pour Katia Canciani : Quels ont été les éléments déclencheurs à l’élaboration de l’histoire de Pet et Répète?
Après avoir écrit quelques albums plus sérieux, je souhaitais vraiment publier quelque chose de léger, drôle, qui ferait rire les enfants. La blague éculée de « Pet et Répète » que l’on se racontait avec mes frères et dans la cour d’école m’est tout de suite venue à l’esprit… et mon imagination débordante a fait le reste! Qui étaient donc ces deux compères dans un bateau? Je me suis amusée à leur inventer une vie, du berceau à la maison de retraite!

Questions à Guillaume Perreault : Comment en êtes-vous arrivé à déterminer l’apparence Pet et Répète, sachant qu’il s’agit d’un duo mythique?
J’ai décidé d’y aller avec une apparence vieillotte avec ce tome. Comme si la blague venait en fait d’un ancien conte. Mode victorienne, avec une touche saltimbanque. Leur long visage niais les rend attachants et comiques. Puis, leur physique devait refléter leur personnalité bien qu’ils soient jumeaux. Pet est donc ballonné et plutôt relax, tandis que Répète, avec ses ironiques grosses oreilles, semble le plus nerveux des deux avec son apparence chétive.

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