Il y a de ces gens dont on ne peut être qu’admiratif. Christian Barthomeuf est un homme de cette trempe qui possède le courage de ses convictions et qui allie les gestes à la parole. Parti de la France pour venir s’installer au Québec et voyant tous les désordres écologiques se multiplier, il décide dans les années 80 de prendre le chemin, comme il l’a lui-même baptisé, de la culture fondamentale. Elle se fait dans le plus grand respect du rythme de la nature et elle lui permet d’assurer sa subsistance. C’est ainsi qu’en 1989, l’agriculteur crée le cidre de glace, aujourd’hui bien connu et apprécié pour ses délicieux arômes et sa fraîcheur en bouche. La fascinante aventure de Barthomeuf est consignée dans Autoportrait d’un paysan rebelle : Une histoire de pommes, de vin et de crottin, une lecture de bon goût pour tous ceux qui croient aux vertus d’un mode de vie en harmonie avec la nature.

Outre le fait que vous décrivez comment vous en êtes arrivé à choisir l’agriculture biologique et à inventer le cidre de glace, vous faites état plus largement dans votre livre de l’aspect primordial de conjuguer style de vie avec éthique environnementale. Vous dites d’ailleurs que « choisir la décroissance n’a vraiment rien de déprimant ». Selon vous, pourquoi alors l’Occident carbure-t-il à l’abondance?
Homo sapiens moderne est ainsi fait. Ça commence dans la cour : la voiture, la piscine, la souffleuse, etc., doivent être plus récentes, ou plus grosses, ou plus chères que chez le voisin. Idem pour les vêtements, les vacances, etc. Ayant ce modèle de voisin gonflable sous les yeux depuis son plus jeune âge, la personne qui se lance en affaires ne pense qu’à la part de marché qu’elle aimerait avoir dans son pays, puis à travers son continent, puis dans le monde, plutôt que regarder son quartier, sa ville et sa région immédiate.

Je suis issu d’une famille — paysanne depuis la nuit des temps — qui vivait en autarcie totale, ou leurs villages étaient leur planète. Les gens ne travaillaient que pour les nécessités essentielles. La compétitivité n’existait pas. Ils ne produisaient que ce dont ils avaient besoin pour vivre (légumes, fruits, viande, etc.). Le troc étant le système monétaire de base, l’argent nécessaire pour payer docteur, vétérinaire, vêtements qu’ils ne confectionnaient pas, journaux, babioles, etc., provenait de la vente du lait à la fromagerie locale. En deux mots : ils ne travaillaient que pour ce dont ils avaient besoin. Sans autre ambition. J’applique ce paradigme depuis toujours.

La pandémie est en train de prouver que c’est LA solution. Les entreprises au trop grand rayon d’action sont en difficulté, alors que les petites entreprises à rayonnement local ont des difficultés à subvenir à la demande. Je parle d’agriculture, pas du superflu. Malheureusement, la majorité des fermes familiales ont suivi les conseils de l’industrie chimique et des banques, par le biais des agronomes, et sont endettées à outrance et vivent en détresse permanente.

Quels sont les plus grands apprentissages que vous avez faits au contact de la nature?
Que ce n’était pas l’homme qui la gérait, mais en plus des intempéries : la faune et surtout les insectes. Il suffit de se promener dans un environnement sauvage (tropical ou autre) pour en faire le constat.

Dans votre parcours d’agriculteur autodidacte, vous avez certainement dû faire face à quelques revers. Quelles lignes directrices vous ont permis de garder le cap?
Pas vraiment. Au début, je n’étais pas pris au sérieux, mais aujourd’hui, notre entreprise est un modèle pour de plus en plus de jeunes gens. Malheureusement, les terres agricoles devenant hors de prix sont de plus en plus inaccessibles, à moins d’une approche « coopérative ». Ce qui va arriver tôt ou tard.

P.-S. Si je ne parle que d’agriculture, c’est parce que c’est vraiment l’essentiel.

Photo : © Virginie Gosselin

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