Sage des temps modernes, Serge Bouchard est non seulement un important historien du Québec, mais aussi un porteur de sens, un humaniste sensible et un passeur de mémoire. L’homme incarne la parole véritable, celle qui relie les nations, celle qui évoque le vaste monde. Cet automne sort un recueil de soixante-quatre textes qui ont paru dans le magazine Québec Science et dans lequel Serge Bouchard a tenu chronique entre 2009 et 2018, écrivant au total une centaine d’articles sur les lieux qui composent l’Amérique. Toujours pris d’une grande curiosité pour les propos du personnage, nous avons posé quelques questions au grand manitou.

Vous avez parcouru le Québec dans chacun de ses recoins les plus secrets et vous nous en avez raconté les origines et les merveilles. Chaque lieu a son histoire qui s’est construite avec les gens qui l’ont façonnée de leurs rêves et de leurs espoirs. À la lumière de vos voyages et de vos découvertes, qu’est-ce qui caractérise le Québec et le distingue des autres territoires?
Le monde sauvage, les espaces sauvages, les animaux sauvages, l’immensité. Je parle ici de la grandeur et des distances, des lacs, des fjords, de l’infinie forêt boréale. Un jour, nous ferons tous ensemble la connaissance de notre remarquable espace-temps; le Québec, c’est cent pays. Dans chacun de ces pays, j’ai rencontré des rêveurs, des créateurs, des gens qui avaient des projets pour faire vivre un village, une communauté, des familles. Nous connaissons mal ces élans de vie locaux, les arts, la culture, les loisirs, les petites entreprises. Si nous recensions mieux ces initiatives et ces actions, nous pourrions célébrer la force créatrice de tous ces mondes originaux.

Qu’est-ce qui fait partie de notre histoire, que l’on a consciemment ou non omis des livres d’école et dont il faudrait à tout prix réhabiliter la connaissance et la transmission?
Notre passé d’explorateurs, nos qualités de passeurs interculturels, le métissage avec les Amérindiens et tous les autres voyageurs. Bref, la logique de notre histoire. Faut-il rester, faut-il partir, penser paroisse ou penser l’aventure des coureurs d’espace? Nos ancêtres ont défriché, bien sûr, ils ont arpenté leurs terres, bien sûr, mais ils ont aussi marché l’Amérique de long en large, appris des cultures, appris des langues et révélé des géographies. Cette incroyable histoire continentale doit être racontée, pour en finir avec « notre petit pain », notre petit destin.

En tant qu’anthropologue, vous êtes sûrement d’accord avec la phrase qui dit qu’il faut connaître son passé pour expliquer le présent et préparer l’avenir? Que souhaitez-vous pour le Québec, disons dans le prochain siècle?
Une révolution en matière d’histoire. Un recadrage affirmant que nous sommes pleinement et profondément nord-américains. Une révolution en matière d’identité. Nous parlons un français d’Amérique, des membres proéminents de la société disparue des grands explorateurs de tous les recoins d’Amérique, précurseurs des anglophones, Américains et Britanniques. L’avenir consiste à se souvenir, à redorer notre blason, à créer une société éminemment originale dans ce coin d’Amérique qui est, en fait, le lieu de sa naissance. Je souhaite au Québec un authentique projet de société fondé sur l’empathie, la compassion, la beauté, la richesse des relations entre les humains, un laboratoire économique aussi, une économie alternative, plus locale, plus humaine. Je vois ce Québec résolument écologique, protégeant ses ressources religieusement.

De façon très personnelle, et en regard des multiples enjeux qui touchent la planète, êtes-vous optimiste quant à la suite du monde?
Dans l’ordre actuel des choses, sous la logique exclusive de l’économie capitaliste, sous le rouleau compresseur de la croissance, poussée par l’avidité, servie par des technologies bouleversantes d’efficacité, le monde a peu de chances d’éviter le mur devant lui. Destruction de la nature, congestion, pollution, compétition, guerres commerciales, conflits meurtriers, médiocrité politique, le monde de demain ne s’annonce pas plus reluisant que celui d’hier. Nous sommes des consommateurs, des chercheurs d’or. Constater le gâchis nous conduit quand même à espérer : donner à l’histoire un autre sens, poursuivre dans nos vies d’autres buts… En un mot, changer le monde : s’éduquer, partager mieux la richesse, mettre les technologies au service bénéfique des communautés humaines.   

 

Photo : © Julie Durocher

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