Patrick Moreau: La classe du professeur Moreau

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Des cégépiens de 17 ou 18 ans incapables d’identifier correctement le passé simple ou le subjonctif présent dans un texte. D’autres qui confondent Sissi l’Impératrice avec une princesse du Moyen Âge, dissertent sur «Adolf Éclair», pensent que la Vierge Marie est une figure de la mythologie grecque ou déclarent que Flaubert écrit en «ancien français»! Patrick Moreau n’invente rien: après quatorze années passées à enseigner la littérature au Collège Ahuntsic, à Montréal, il se sent simplement un peu déprimé. Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants?, essai publié chez Boréal, lui aura au moins permis de se vider le cœur. À la demande expresse de sa femme d’ailleurs: «Elle en avait assez d’entendre mes jérémiades: elle m’a dit de faire quelque chose plutôt que de me plaindre!»

Un langage mis à plat
Patrick Moreau a donc pris sa plume pour se plaindre sur papier plutôt qu’à la maison. Et bien que les lacunes en culture générale de ses étudiants le préoccupent beaucoup, ce sont surtout leurs difficultés en français qu’il dénonce dans son livre: parce qu’elles sont, selon lui, le symptôme d’une école qui va très mal. Une école «qui ne veut plus enseigner, ou ne sait plus quoi enseigner». En témoigne notamment la pauvreté de la langue de l’élève moyen, qu’il compare à la «novlangue» imaginée par l’auteur d’anticipation Georges Orwell dans le roman 1984, un langage véritablement «mis à plat», destiné à
limiter le domaine de la pensée plutôt qu’à l’étendre, et dans lequel le vocabulaire est limité au point
d’empêcher toute pensée vraiment personnelle de s’exprimer.

Une langue dénuée de nuances et ponctuée de jugements à l’emporte-pièce, où les «Zola était con» le disputent aux «Flaubert écrit mal» entendus en classe. Loin d’y voir la marque d’esprits libérés, le professeur de littérature y perçoit plutôt la «suffisance obtuse du barbare iconoclaste». Dur constat, qu’il assume pleinement quand vient le temps de commenter son livre: «Des élèves qui ont de la difficulté à lire et plus encore à écrire, on en a énormément. Entre la moitié et les deux tiers de mes élèves ont de gros problèmes à exprimer des idées abstraites ou à argumenter. Dès qu’on est dans l’analyse, dans la réflexion, on a une imprécision de la formulation de la pensée», affirme-t-il.

La loi du moindre effort
À qui la faute? Moreau hésite à jeter la pierre aux professeurs, qu’il décrit plutôt comme les victimes d’un système. Il préfère fustiger les théoriciens des sciences de l’éducation, qui ont accouché d’une nouvelle réforme dont nos écoles avaient besoin comme d’une guigne, selon lui. Il dénonce aussi un système scolaire qui se refuse à tout élitisme, et où les élèves sont «bercés dans l’illusion du moindre effort et de la non-compétitivité». Maternés à outrance, ils ne sont pas confrontés à la réalité des notes. «On multiplie les contrôles de lecture, les petits tests objectifs et toutes sortes de tests annexes pour permettre à la majorité d’entre eux d’avoir 60%, explique-t-il. J’ai des collègues qui fixent la moyenne du groupe avant même d’avoir commencé à corriger! Autrement dit, si après avoir corrigé les travaux, ils se rendent compte que la moyenne est de 50%, ils vont avoir tendance à remonter les notes pour obtenir une moyenne de 60%, 65%… voire 70%.»

La peur de l’échec scolaire serait-elle en train de transformer nombre d’élèves en incompétents diplômés et leurs professeurs en spécialistes de la triche? Sans aller aussi loin, Moreau s’inquiète tout de même des effets pervers d’une telle pratique: «On fabrique des décrocheurs, précise-t-il. On fabrique des gens qui vont finir par être un peu révoltés, parce qu’ils auront du mal professionnellement, parce qu’ils auront du mal à trouver un avenir…» Tel cet élève dûment diplômé du secondaire et cité dans son essai, qui pensait maîtriser trois langues — chinois, anglais et français — pour constater une fois au cégep, et bourré d’amertume, qu’il n’en maîtrisait en fait aucune. «Il est facile de passer à travers les mailles du filet en faisant un minimum d’efforts. Ça joue contre les meilleurs élèves, qui n’ont pas d’efforts particuliers à fournir, et ça joue aussi contre les plus faibles, qui gagneraient à ce qu’on les pousse dans leurs retranchements. Et ce n’est surtout pas en rendant les cours plus faciles que les élèves vont rester davantage. Au contraire! Comme ils disent, ils vont trouver ça encore plus plate!», s’exclame-t-il.

Pour lui, il est urgent de se fixer des objectifs clairs et d’en revenir aux bases d’un enseignement plus rigoureux et systématique. Et ce, dès les toutes premières années d’école: «Au primaire, les règles de grammaire et d’orthographe ne sont pas apprises de façon systématique. On a besoin de moins de théories pédagogiques, de revenir à des choses simples et efficaces, comme enseigner la grammaire au lieu de la faire deviner, donner des dictées aux élèves pour qu’ils puissent mémoriser l’orthographe, et leur faire lire des textes littéraires dès le secondaire. Ne surtout pas attendre jusqu’au cégep, parce qu’il est alors largement trop tard.»

Le devoir de l’enseignant
Impossible d’en arriver là sans revaloriser la profession d’enseignant, pense Moreau, pour qui les professeurs devraient être de vrais spécialistes de leur matière, soumis à l’épreuve d’un test diagnostique en français et en orthographe: «Je suis parfois surpris de voir des élèves que moi je qualifierais d’assez médiocres et d’apprendre qu’ils se dirigent vers la carrière enseignante. Alors qu’en sortant du cégep, ils s’expriment très mal. Ça me fait paniquer un peu, parce que là, on est repartis pour un autre cycle de trente ans.»

En lisant l’essai de Patrick Moreau, il est tentant de faire le parallèle avec un autre livre, plus ancien celui-là: Les insolences du frère Untel, la bombe larguée par Jean-Paul Desbiens sur le monde de l’éducation en pleine Révolution tranquille. À cinquante ans d’intervalle, on y retrouve une description semblable d’un système scolaire où la médiocrité semble l’emporter sur l’excellence. «C’est bien le drame!», soupire Moreau, qui doute que son livre ne suscite quelque changement que ce soit dans nos écoles. «Tant mieux si ça suscite une polémique de plus. Mais je ne suis pas le premier à en parler. Une fois par année, c’est un débat qui s’invite dans la presse, constate-t-il. Et ma foi, il n’y a jamais de réactions très claires dans le champ de l’éducation. Me permettez-vous d’être un peu pessimiste? Il y a quelques mois, madame Courchesne, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, a apparemment convenu des échecs de la réforme à l’émission de télévision Les Francs-tireurs. Et le lendemain, pour des raisons politiques, elle a fait un démenti dans les journaux. Je ne crois pas qu’il y ait de volonté politique de
changer les choses.»

Bibliographie :
Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants?, Boréal, 152 p., 19,95$

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