Le dernier livre d’Olivier Ducharme, intitulé Ville contre automobiles (Écosociété), nous invite rien de moins qu’à nous débarrasser de l’automobile. Pour y parvenir, l’auteur propose un nouveau paradigme anticapitaliste à travers une analyse fouillée et fascinante.

À bas les bagnoles! Beaucoup n’ont jamais osé y penser tant les voitures font partie de notre quotidien contemporain. Elles sont ici et là, partout et à chaque coin de rue. Omniprésentes et omnipotentes, elles occupent tout l’espace : « Notre système est fondé sur l’idée de l’automobile, alors que c’est une invention qui détruit non seulement l’environnement, mais aussi le monde social dans lequel on vit », lance au bout du fil Olivier Ducharme. L’idée de renoncer une fois pour toutes à ces milliards de « requins d’acier » pour retrouver notre liberté est le point de départ (et aussi la finalité) de cet essai riche en raisonnements paru aux éditions Écosociété. « L’automobile est l’image parfaite de quelque chose qui nous a été imposé », raconte l’auteur. « On est nés avec les voitures et les villes dans lesquelles on a grandi ont été pensées pour la voiture. » Or, au fil du temps, en embrassant ces engins « aliénants », « dangereux » et « polluants », la population s’est retrouvée piégée, explique-t-il en substance : « Les publicitaires nous ont faussement vendu les automobiles comme des outils modernes et émancipateurs », ajoute-t-il.

Nous voilà tombés dans le panneau, car parmi les inventions que le XXe siècle nous a léguées, ce bien de consommation de masse « s’avère le plus dommageable pour la vie humaine », dixit le chercheur. Il précise toutefois que même si les voitures ont transformé les villes, au point de s’imposer comme « l’étalon de mesure de la planification urbaine », il est aujourd’hui possible de s’en affranchir. « Ça va commencer par un changement de mentalité », avertit Olivier Ducharme, qui ne manque pas de pistes de solution plus ou moins étonnantes comme le retour de la bonne vieille marche chère au philosophe Rousseau. D’accord pour une simple promenade de santé, mais de là à parcourir à pied des kilomètres pour se rendre à son lieu de travail, c’est une autre histoire : « L’étalon de mesure de la planification urbaine doit retourner à l’échelle humaine », rétorque-t-il.

Pour appuyer ses propos et « redonner au piéton la place qui lui revient », le chercheur au Collectif pour un Québec sans pauvreté s’inspire des travaux de plusieurs intellectuels, dont l’anarchiste américain trop méconnu Paul Goodman (1911-1970) : « En 1961, Goodman proposait déjà d’éliminer les voitures sur l’île de Manhattan à New York », note Olivier Ducharme. Il est vrai qu’à l’époque, la proposition est révolutionnaire. Soixante ans plus tard, elle rappelle surtout que le « problème » n’est toujours pas réglé. Les multiples initiatives qui visent à désengorger nos rues en construisant des ponts et des tunnels ou en ajoutant des voies goudronnées ne font qu’empirer une situation déjà bien tendue puisqu’elles augmentent le parc automobile et par conséquent les embouteillages.

La pensée d’Olivier Ducharme est dirigée sur le vivre-ensemble, très loin de l’individualisme prôné par les accros du volant. Il reste que l’auteur n’est pas un utopiste : les alternatives existent, croit-il, et elles sont principalement exposées dans son ouvrage pour que la rue devienne « enfin » un espace commun. « On peut changer le monde dans lequel on vit, argue-t-il. Si l’on a permis l’arrivée de la voiture, on est aussi capable de s’en débarrasser. » En proposant de faire des banlieues de véritables lieux de vie et non plus des dortoirs, il suggère diverses avenues, par exemple que chaque quartier acquière les services (école, magasins, bureaux) qui éviteraient l’utilisation à tout vent des quatre roues : « Tout doit pouvoir se faire à pied, à vélo ou en transports collectifs », répète-t-il. Les projets qui ont un rapport avec l’aménagement urbain doivent dès maintenant viser à éliminer les voitures des villes et pas en rajouter, dit-il.

Si l’on en croit Olivier Ducharme, l’électrification des transports n’est pas non plus une panacée. Il précise que le marché de l’automobile électrique n’est en fait qu’une nouvelle opportunité d’affaires qui ne change rien au nœud du problème : « La “transition énergétique” amorcée par le gouvernement du Québec a plus à voir avec le développement économique qu’avec une “transition énergétique” », peut-on lire dans son livre. En entrevue, l’auteur poursuit sa réflexion en affirmant que l’automobile électrique, c’est l’image du « capitalisme vert », proposé par des décideurs uniquement concernés par les exigences d’une croissance infinie tournée vers les profits : « Même si on change l’essence pour de l’électricité, tout le reste va demeurer, le nombre de voitures va continuer de croître avec son corollaire d’effets nocifs sur nos modes de vie. »

Si l’auteur plaide pour une mise à l’écart de l’automobile, qu’elle soit électrique ou à essence, ce n’est pas seulement pour amorcer une « vraie transition écologique », mais aussi pour saisir l’occasion d’entamer une authentique transformation de la ville, un « nouvel urbanisme » qui ne pointe pas du doigt les conducteurs, mais plutôt les voitures.

« Des transports collectifs efficaces et gratuits, des points de service à distances raisonnables, un quotidien sans trafic, tout cela peut convaincre les automobilistes de délaisser leur voiture pour une meilleure qualité de vie », croit Olivier Ducharme. À ce titre, son ouvrage a le mérite de proposer les remèdes possibles.

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