Micheline Lanctôt : Se raconter des histoires

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Propulsée sur les écrans par Gilles Carle dans La vraie nature de Bernadette en 1972, Micheline Lanctôt passera de l’autre côté de la caméra en 1980 avec L’homme à tout faire, sa première réalisation. Depuis, elle n’a eu de cesse de nous faire la preuve de son talent. Lorsqu’on lui a proposé d’écrire sur le métier de cinéaste, elle a été ravie. « J’ai trouvé ça super intéressant comme format de réflexion. Une lettre, c’est relativement informel, ça permet de réfléchir à voix haute en quelque sorte. » Transmettre le savoir-faire et éventuellement passer le flambeau s’avèrent naturel pour celle dont le sceau d’excellence a été maintes fois approuvé par les honneurs (ce qui n’empêche pas les revers de fortune). Son regard est résolument tourné vers l’avant.

La réalité des jeunes cinéastes d’aujourd’hui par rapport à celle d’il y a trente ans est bien différente. Avec l’arrivée du virtuel, la notion de l’image n’est plus du tout la même. À l’instar du réalisateur Bernard Émond qui affirme qu’il y a trop d’images dans nos vies actuelles, Micheline Lanctôt croit aussi que la proposition visuelle a été amenée à saturation. Ce n’est pas tant le nombre d’images qui s’est multiplié que le détournement de sens qu’elles ont subi. « On est déjà dans l’après-image à mon avis. Avant, quand on disait je l’ai vu, ça voulait dire que ça existait pour vrai. C’est beaucoup plus difficile de dire ça maintenant, pense la cinéaste. Les images ont perdu leur caractère essentiel. En fait, on fait énormément d’images pour vendre, surtout. L’utilisation de l’image comme telle est devenue beaucoup plus un outil de promotion qu’un signifiant. »

Les lettres de Micheline Lanctôt à la jeune cinéaste, sans du tout être fatalistes, comportent leur lot de mises en garde. Si le cinéma est un métier qui compte de nombreux moments magiques, voire exaltants, il est aussi très dur. « J’ai vu tellement de jeunes se décomposer devant la réalité du métier que j’ai jugé préférable d’au moins leur dire ce qu’il en est. Après ça, ils décideront s’ils veulent le faire ou pas. » Le plus grand défi pour tout cinéaste est d’aller jusqu’au bout de son film sans que sa vision de départ soit trop altérée. Il y a tellement d’intervenants qui viennent agir sur le film et d’éléments hors de contrôle, ne serait-ce par exemple que la météo, qu’il faut être prêt à faire des concessions.

Même si les lettres sont adressées à une jeune cinéaste, rien n’interdit les garçons de les lire et d’y trouver leur compte. Il y a bien un chapitre qui fait état de la situation particulière des femmes, mais les jeunes hommes ont tout intérêt à être tenus au courant afin qu’ils puissent participer activement à changer les choses. La proposition de Lanctôt : « Que les filles aillent voir leur chum et leur disent, tiens, lis ça! »

En ce qui concerne l’évolution de la cinématographie québécoise, Micheline Lanctôt a plusieurs bons mots à en dire, malgré le fait qu’aujourd’hui l’omnipotence de l’industrie freine bien des ardeurs. « Elle est d’une incroyable diversité et d’une incroyable vitalité, annonce-t-elle d’emblée. Ça s’est un peu domestiqué au fil des années. Au début, c’était un cinéma qui était super libre et d’une grande audace, je parle de fin des années 50, début des années 60. Mais on a gagné un professionnalisme, qui maintenant fait le bonheur des équipes américaines. » Micheline Lanctôt n’a rien contre ceux qui décident d’aller faire carrière à Hollywood, elle croit cependant que, malheureusement, le montant des sommes engagées est proportionnel aux restrictions des investisseurs.

La cabale des gros sous n’a rien à voir, selon la réalisatrice, avec le véritable rôle de l’art, celui de raconter une histoire. « Le grand reproche que je fais aux médias, c’est qu’ils juxtaposent des faits qui n’ont aucune espèce de cohérence quand on les met un à côté de l’autre. On est dans le triomphe du fait divers. » Un morcellement qui laisse les gens avec un sentiment de confusion et d’impuissance. « Il faut beaucoup plus qu’un flash-info pour comprendre. Il faut qu’on puisse lui donner un pourquoi, il faut en faire une histoire, continue Lanctôt. Dans une histoire, il y a un enchaînement causal, avec un début, une fin, on a une raison pour laquelle les choses arrivent. Qu’est-ce que je ferais sans histoires, mon dieu, je serais perdue! » C’est peut-être la première chose qu’une ou un jeune cinéaste devrait avoir avant de se lancer, l’envie profonde de nous raconter des histoires.

Crédit photo : © Mathieu Rivard

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