Frédérick Lavoie: Manifeste d’un journaliste voyageur

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Un café brûlant devant lui, Frédérick Lavoie hésite. La question l’embête. Il ne sait trop quel moment est le plus marquant de son parcours parmi les anciennes républiques de l’URSS. Puis, son regard s’allume. Il parle de l’Asie centrale, et de la Biélorussie, et de la Tchétchénie, et de Moscou. Il parle de l’ailleurs, comme s’il parlait d’ici, bien lucide malgré sa fin vingtaine. Inspirants allers simples vers un autre monde.

Fin mars 2006. Les médias annoncent l’arrestation d’un jeune journaliste québécois en Biélorussie. Pendant quinze jours, la une des journaux est consacrée à l’événement. Lui, croule derrière les barreaux d’une prison glauque de Minsk avec une demi-douzaine de jeunes révolutionnaires. L’impuissance est totale, l’angoisse, bien réelle. Six ans plus tard, son livre en main, Frédérick Lavoie revient sur ce moment marquant de son existence et sur ses nombreuses autres pérégrinations dans ce qu’il surnomme la « Post-Soviétie ».

Au fil de ses voyages, Lavoie remplit des cahiers de notes. Tout l’inspire. Le hasard le stimule. Puis, à la fin d’un épuisant séjour dans le Caucase, il s’arrête. Il se sent enfin prêt à rassembler ses souvenirs, ses observations minutieuses sur ces pays en lutte contre leur passé ou leur présent. « Je ne voulais pas faire de ce livre un objet exotique », lance le journaliste, qui a vécu pendant cinq ans à Moscou. « Je souhaitais parler le plus possible de l’ordinaire. L’ordinarité de ces gens s’avère extraordinaire pour nous. »

En passager clandestin, le lecteur voyage hors des sentiers battus. Lavoie le trimballe dans une gare maritime décrépite de Soukhoum(i) pour lui présenter un groupe d’indépendantistes abkhazes ou dans une cuisine exiguë de Grozny pour lever le voile sur un couple de lesbiennes prisonnières d’une Tchétchénie qui considère l’homosexualité comme une « dépravation occidentale ». Au détour des pages, on côtoie des néonazis, des contestataires, des naïfs, des amoureux. En train, en autobus, en taxi, on sillonne l’Asie centrale, le Caucase, l’Europe russophone.

Le journaliste montre la soumission, parfois la révolte : « Il y a du très bon dans les mouvements sociaux, mais il y a aussi des débordements. Il y a souvent des lendemains amers. J’ai toujours un frisson quand je frôle l’espoir d’un peuple. » Il considère cependant essentiel de conserver un détachement par rapport aux événements. « Il faut compatir sans sympathiser », analyse-t-il.

De hasard et d’instinct
Les allers simples de Frédérick Lavoie prennent souvent naissance sur un coup de tête doublé d’un coup de cœur. « Ils mijotent quelques jours ou semaines, jusqu’à ce que l’idée du départ devienne aussi vivante que rationnelle. Le crâne bourré de noms, d’histoires, de routes probables, de reportages réalisables, je remplis mon sac à dos de l’essentiel. Puis, je prends mon courage à deux mains pour sauter dans cet inconnu qui, chaque fois, fait peur malgré les expériences qui s’accumulent. Le hasard et l’instinct s’occupent du reste. »

Frédérick Lavoie admet que ce livre peut être considéré comme un manifeste pour le journalisme indépendant. Il se trouve chanceux d’être un électron libre, un reporter en marge du système. L’autonomie suppose des risques, mais permet une grande latitude. « Le risque est toujours payant. De plus, il faut prendre son temps. Le temps permet d’approfondir un sujet », scande-t-il comme un leitmotiv. Débrouillard, respectueux des différences, fin observateur, Lavoie a la chance de dire ce qu’il veut sans craindre la façon de le dire.

D’ici et d’ailleurs
Fier natif de Chicoutimi — pas surprenant qu’il ait choisi de publier son livre chez La Peuplade, éditeur de la région —, le disciple de Nicolas Bouvier et Jack London n’avait jamais rêvé de Russie. Pourtant, il la connaît maintenant mieux que quiconque : « Ce livre me permet de boucler la boucle de l’ex-URSS. » En décembre prochain, il s’élancera en Inde. Ce sera encore un choc. « Devenir confortable rend un peu plus paresseux. La curiosité diminue, le risque de se tromper devient plus grand », justifie-t-il, impatient de s’installer à Bombay. « L’altérité au quotidien me pousse à me questionner sur moi-même. Cela me rend moins capricieux, plus heureux. » Les lecteurs attendront avec impatience les aventures indiennes de ce Tintin québécois.

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