Élise Desaulniers : Pas capable de tirer ma vache

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Ça y est, vous avez tous la célèbre chanson de Carmen Campagne dans la tête. Pourtant, le sujet qui sera traité ici est à cent lieues des amusantes comptines de notre enfance et ébranlera peut-être à jamais votre incommensurable amour pour le lait. Vous nous suivez quand même?

Comme la majorité des Québécois, Élise Desaulniers a vécu une véritable histoire d’amour avec le lait, cette intarissable source de réconfort. Dès les premières pages de son récent essai intitulé Vache à lait. Dix mythes sur l’industrie laitière, publié chez Stanké, elle écrit : « À l’époque, si on m’avait demandé d’où venait le lait, j’aurais répondu sans hésiter : du camion de Monsieur Sealtest (je savais évidemment qu’il venait aussi de l’épicerie, mais celui-là était moins bon). J’aimais Monsieur Sealtest. J’aimais le lait. » Aujourd’hui, tout est différent. Après plusieurs recherches approfondies, l’auteure s’est rendu compte que la plupart des messages qui sont véhiculés sur le doux nectar blanc ne sont pas fondés, si ce n’est parfois mensonger. Elle entreprend donc de remettre les pendules à l’heure, consciente que son propos ne fera pas l’unanimité dans notre société où le lait a été posé sur un piédestal.

Et si tu n’existais pas…

C’est un fait, les Québécois sont particulièrement attachés au lait et, pour plusieurs, il serait inconcevable d’éliminer la boisson et ses dérivés de leur alimentation. Pourtant, dans d’autres pays occidentaux, comme la Grèce ou le sud de l’Italie, le produit est très peu consommé selon Mme Desaulniers, qui ajoute que dans les pays asiatiques comme la Chine et la Thaïlande, il est tout simplement absent des étalages. Comment expliquer donc qu’il occupe une place si importante dans l’assiette et dans le cœur des Québécois? L’explication est d’abord historique : « Dans les années 40, on s’est rendu compte qu’en produisant du lait, on pouvait offrir une protéine bon marché, et ce, à l’année », développe l’auteure et conférencière. Faut-il rappeler que les conditions climatiques variables du Québec limitent les possibilités? « En fait, le développement du Québec s’est fait en parallèle avec le développement de l’industrie laitière », enchaîne-t-elle, ajoutant que la publicité et la distribution dans les écoles se sont ensuite imposées durant les années 80.

Si la distribution systématique dans les établissements scolaires n’a plus cours de nos jours, la machine publicitaire, elle, ne s’est jamais arrêtée. « Aujourd’hui, il existe plusieurs autres sources de protéines et de calcium, mais on continue de véhiculer une information selon laquelle le lait est un aliment essentiel à la santé », déplore l’essayiste qui va même jusqu’à soulever que la consommation de lait puisse être la cause de plusieurs problèmes de santé et que 18% des Canadiens sont intolérants au lactose (au Vietnam, ce nombre frôle les 100% peut-on lire dans l’un des nombreux tableaux présentés dans l’essai). « En réalité, lorsqu’on y réfléchit un peu, n’est-il pas curieux qu’un être humain adulte et sevré doive boire le lait d’un autre mammifère pour avoir des os solides et être en bonne santé? Ce serait une exception dans la nature : aucun autre animal n’ingère du lait d’une autre espèce. » Contre toute attente, l’auteure nous indique non seulement que le lait n’est pas essentiel, mais qu’il contient des hormones, des allergènes, du gras saturé, du cholestérol et des pesticides, qui sont liés à plusieurs problèmes de santé.

Pourquoi alors le Guide alimentaire canadien continue-t-il de recommander trois à quatre portions de produit laitier par jour? C’est ici que ça se corse. « On parle d’enjeux importants. Imaginez les conséquences économiques d’une révision du guide où les produits laitiers disparaîtraient pour se joindre à la viande, aux noix et aux légumineuses dans un nouveau groupe appelé protéines! » Mme Desaulniers aborde l’épineuse question des lobbys, tout en avançant prudemment : « Il n’existe pas beaucoup d’études sur l’influence des lobbys sur l’élaboration du Guide, pas au Canada en tout cas. Aux États-Unis, par contre, des chercheurs indépendants ont demandé au gouvernement de revoir à la baisse les recommandations sur la consommation de viande et de produits animal, mais les lobbys ont fait pression et ses recommandations n’ont pas été appliquées. » Chose certaine, elle souligne que les autres lobbys (maraîchers, soja) ne sont pas présents lors de l’élaboration du Guide, ce qui est selon elle anormal. Elle ajoute également dans son livre que « c’est d’obésité que souffrent majoritairement les jeunes, pas de carences en protéines! »

L’importance de boire du lait est tellement ancrée que le Mieux vivre (guide produit par le gouvernement et offert à tous les nouveaux parents) indique que le lait au chocolat est un bon substitut pour les enfants qui boivent peu de lait nature. « Pourtant, une portion de 320 ml de lait au chocolat Natrel contient 36 g de sucre, contre 39 g pour un coca-cola standard de 355 ml. »

Pas vachement éthique

Mais plus encore que les simples questions nutritionnelles, Élise Desaulniers rappelle que « la production de lait n’est pas comme la production de jus de tomate, parce qu’elle implique un animal sensible, qui ressent la douleur ». Elle aborde ainsi les problématiques d’éthique animale qui lui sont chères et qu’elle traitait déjà dans son premier livre Je mange avec ma tête. « La production laitière n’a rien d’artisanal. C’est plutôt un habile travail d’ingénierie pour améliorer les performances. […] Alors qu’une vache donne “naturellement” 7 kg de lait par jour, elle en produit 27 dans les conditions actuelles. »

Même si tous les faits qu’elle avance dans son essai sont appuyés par des références, il est fort à parier que le discours qu’elle tient ne trouvera pas preneur partout. « C’est sûr que je ne parle pas de l’importance des vacances. Ce n’est pas un sujet qui plaît à tout le monde », rigole-t-elle. Pourtant… « Je reçois beaucoup de courriels dans lesquels les gens disent que le livre leur a permis de réfléchir. C’est sûr que moi toute seule, avec un livre tiré à quelques milliers d’exemplaires, je ne vais pas transformer l’industrie. Ça serait utopique de penser ça. Mais peut-être que ça va amener d’autres gens à se questionner et à écrire sur le sujet. » Elle reste donc optimiste : « Je vois que la situation a quand même changé en trente ans. Déjà, entre la sortie de mon premier livre et de celui-là, je vois que les réflexions ont évolué. » Selon elle, Vache à lait s’inscrit dans une réflexion sociale qui est déjà amorcée. Elle rappelle notamment la diffusion du documentaire La face cachée de la viande l’hiver dernier.  

Élise Desaulniers est végétalienne, c’est-à-dire qu’elle ne consomme aucun produit d’origine animale, et contrairement à ce que certains pourraient croire il ne s’agit pas d’un régime austère pour lequel elle doit continuellement se faire souffrance. Bien qu’elle avoue que les premiers temps ont été difficiles, elle s’empresse d’ajouter : « J’ai l’impression de faire le bon choix. Je suis en pleine santé et tout à fait heureuse. Quand on mange en sachant qu’il n’y a pas de souffrance animale derrière notre assiette, ça commence bien la journée! »

 

Crédit photo : Sarah Scott

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