Catherine Voyer-Léger et Michel Lemay : Rôle de soutien

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« J’ai cessé de croire que les mots pouvaient accomplir des miracles. Le journalisme a dissipé mes illusions », a un jour écrit l’écrivain franco-grec Vassilis Alexakis. Cette citation prend plus que jamais tout son sens en ces temps de grande mutation journalistique. Parmi les observateurs du phénomène, l’auteure Catherine Voyer-Léger et le spécialiste en communications Michel Lemay font paraître des essais, Métier critique et Vortex, qui décryptent respectivement l’état de la critique culturelle puis celui du journalisme actuel. Entrevue croisée sur des réflexions percutantes. 

C’est en regardant la défunte émission culturelle La bande des six, d’ailleurs rebaptisée à l’époque « La bande des bitchs » par les humoristes de Rock et Belles Oreilles que, toute jeune, Catherine Voyer-Léger a été confrontée pour la première fois à la critique : « […] ça m’a concernée directement, ce jour maintes fois rappelé depuis où Nathalie Petrowski a critiqué Roch Voisine. J’étais à l’écoute. Et complètement dévastée. À cet âge, on entretient avec ses idoles un lien qui a quelque chose de fusionnel. Je me sentais trahie. Ce jour-là, j’ai haï les critiques. J’ai haï Nathalie Petrowski. Je me suis demandé pour qui elle se prenait. Je me suis dit qu’elle avait juste à aller chanter si elle était si bonne », note l’auteure dans les premières pages de Métier critique. Pour une vitalité de la critique culturelle.

Son « Voisinegate » aurait pu sombrer dans l’oubli, mais il lui est revenu en mémoire plus tard en devenant gestionnaire dans le milieu culturel. « Mon intérêt pour la critique s’est manifesté plus spécifiquement lorsque j’ai commencé à travailler avec les artistes des communautés francophones et acadiennes du reste du Canada. J’ai réalisé jusqu’à quel point l’absence de critique dans leur milieu et le peu d’accès aux médias du Québec leur font du tort. Ils sont les premiers à le reconnaître! Je me suis alors mise à m’intéresser au discours très négatif qu’on tient généralement contre la critique », explique Catherine Voyer-Léger. Sur son blogue éponyme, l’auteure a alors publié une série d’entrevues avec treize critiques professionnels. C’est ainsi, en filigrane, que l’écriture de Métier critique est née. « Tout le monde parle de la critique, mais personne n’y avait consacré un livre qui ne serait pas disciplinaire. Il m’a semblé que c’était plus simple pour quelqu’un comme moi – qui ne pratique pas le métier – de prendre la parole sur cette question… »

L’envers du décor
Bien qu’elle tienne une chronique mensuelle dans le Journal de Montréal, elle ne se définit pas comme journaliste. Michel Lemay non plus. Au contraire, ce dernier est plutôt cadre supérieur dans le domaine des communications et des relations publiques et occupe plutôt un poste d’observation privilégié sur le monde du journalisme. Vortex est un essai qu’il qualifie d’« unique en son genre ». « Je peux le dire avec une certaine assurance, parce que cela fait des années que je surveille ce qui sort dans ce domaine. Ce qui me distingue, précise-t-il, c’est que j’ai une foule d’exemples, tous tirés du monde réel, que tout le monde peut comprendre. Chacun de ces exemples constitue une petite histoire. »

Parmi ceux-ci, notons l’atterrissage d’urgence aux Açores du commandant Piché, le célèbre scandale américain du Watergate, les accommodements raisonnables, etc. « Le point de départ de ce livre, c’est de constater qu’une partie de l’information que nous livre la presse est fausse. Ou recueillie, mise en forme et présentée de manière à manipuler, ce qui revient au même. On travestit l’état des choses, on donne au public une image déformée des événements et on conditionne sa perception du monde.[…], c’est aussi de constater que ceux qui font la nouvelle, ceux qui sont “dans” l’histoire, fournissent sans le vouloir une matière première dont il est fait peu de cas : leur réputation », lit-on en guise d’introduction dans son essai.

L’information « fast-food »
Puis, facilitant cette manipulation de l’information, les médias actuels sont aussi soumis à un rythme plus soutenu que jamais. « On le dit souvent : tout va vite! Donc il faut aller vite : présence accrue sur les médias sociaux (quitte à ce que tous les journalistes d’un même beat nous partagent le même communiqué de presse à 30 secondes d’intervalle), textes courts, critiques rapides, attrait pour les cotes d’appréciation d’une création artistique, les listes, le journalisme de données, le journalisme en images… », note pour sa part Voyer-Léger.

De son côté aussi, Lemay, dont la recherche pour ce livre s’est échelonnée sur une dizaine d’années, estime que les médias manifestent un grand besoin de retenir l’attention du public. « Je pense qu’on jette souvent le bébé avec l’eau du bain, et qu’on simplifie à outrance, oui. Voire même qu’on tombe dans la caricature. Cela dit, quand je regarde le Globe and Mail ou le New York Times, je vois encore des journaux où il y a énormément de contenu. Il y a un marché pour ça, manifestement », témoigne-t-il.

Le grand désabusement
Une pointe d’encouragement qui n’en demeure pas moins assombrie par l’évident désabusement du public vis-à-vis l’information. Le « quatrième pouvoir », tant dans l’actualité que dans le secteur de la critique culturelle disséqué par Voyer-Léger, ne semble plus, justement, exercer un si grand « pouvoir » dans l’esprit des gens. L’auteur de Vortex souligne en ce sens que le public ne croit plus les journalistes, ne leur fait pas confiance, au Québec comme partout dans le monde. Cette tendance généralisée à ne pas respecter ce qui entoure le journalisme, par exemple la critique culturelle, figure dans l’analyse réalisée par la blogueuse qui espère que les préjugés et les lieux communs sur les critiques culturels reculent un peu. « Même de quelques centimètres. Ce serait toujours ça de gagné… »

Pour sa part, en publiant son livre, Lemay souhaite, entre autres, susciter un débat dans le milieu journalistique, enclencher « une conversation, une vraie ». « Personnellement, je pense qu’il va falloir un gros coup de barre de la part de ceux qui sont à la tête de nos plus grands médias. La balle est dans leur camp », conclut-il.

 

Photo Catherine Voyer-Léger : © François Mellet

Photo Michel Lemay : © Martine Doyon

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