Dans son troisième livre, À la défense de la biodiversité : Sur la trace des aliments perdus, Bernard Lavallée, alias le nutritionniste urbain, lance un véritable cri d’alarme devant la disparition croissante des plantes et des animaux de la surface de la Terre. Son ouvrage est aussi l’occasion de rappeler la fragilité des liens qu’entretient l’être humain avec son environnement naturel.

Qui se souvient encore de la tourte voyageuse? L’oiseau migrateur estimé à cinq milliards d’individus peuplait, il n’y a pas si longtemps, de vastes territoires de l’Amérique du Nord, du sud du Mexique jusqu’au Québec. En quelques décennies seulement, l’homme est parvenu à décimer le volatile apprécié pour sa chair. Le cas tragique de cette espèce éteinte au début du XXe siècle dans une quasi-indifférence constitue l’une des nombreuses histoires racontées dans le livre de Bernard Lavallée.

« L’exemple de la tourte voyageuse est triste et à mon avis assez révélateur, car cela démontre que l’on peut avoir la ressource la plus abondante au monde et la faire disparaître presque en un clin d’œil », explique en entrevue l’auteur qui s’inquiète de la chute vertigineuse de la biodiversité aux quatre coins de la planète.

Si le nutritionniste urbain retourne dans le passé, c’est pour mieux comprendre les périodes au cours desquelles la biodiversité a été mise en péril. Son ouvrage joliment illustré par Simon L’Archevêque est à ce titre un bijou de vulgarisation scientifique. L’auteur désigne ainsi au fil des pages cinq moments charnières dans l’histoire de l’humanité, qui va de la chasse et la cueillette au temps des mammouths, jusqu’à l’invention de l’agriculture et le système alimentaire mondialisé.

« Ce que l’on observe présentement, c’est un taux d’extinction des espèces animales et végétales beaucoup plus élevé que la normale. Les scientifiques utilisent le terme “extinction de masse”. J’ai la conviction que nous sommes arrivés à la croisée des chemins en ce qui concerne la biodiversité alimentaire. » D’après lui, il ne faut pas se fier à l’abondance de produits disponibles dans les supermarchés, « un leurre » qui dissimule plutôt le récit d’une élimination inexorable de la biodiversité alimentaire sur nos étals.

«Cela fait plus de dix ans que je martèle le même conseil : manger diversifié est la façon la plus saine de répondre à nos besoins nutritionnels, mais force est de constater qu’on est en train de consommer de moins en moins varié, laissant disparaître des aliments dans une insouciance collective qui me révolte.»

Bernard Lavallée, qui collabore notamment à l’émission Moi, j’mange sur les ondes de Télé-Québec, ne passe pas par quatre chemins pour livrer ses préoccupations. Les faits sont là, répète-t-il. « On estime que neuf plantes représentent aujourd’hui les deux tiers de toute la production alimentaire mondiale, souligne-t-il. Du côté des animaux, c’est encore pire puisque seulement cinq espèces fournissent quasiment l’ensemble de toute la viande, des œufs et du lait. »

Le nutritionniste explique cette homogénéité principalement par deux facteurs aggravants associés aux choix de production industrielle. « Le premier est qu’une immense quantité de plantes n’est plus cultivée pour nourrir l’être humain, mais plutôt pour nourrir les animaux destinés à la consommation. » Le second facteur est lié aux aliments ultratransformés, précise-t-il, ajoutant que ces produits représentent environ 50% des calories au Canada. « Cela pose un véritable problème puisque si une partie de la population achète les aliments ultratransformés, c’est souvent parce qu’il s’agit du seul moyen accessible pour remplir leur estomac. »

L’auteur tire donc la sonnette d’alarme afin de sensibiliser les lecteurs à l’importance de conserver le nombre d’espèces et de variétés animales ou végétales nécessaires à l’alimentation. Le consommateur peut agir à son échelle, mais les gouvernements, ainsi que l’industrie agroalimentaire, ont leur rôle à jouer, note-t-il.

« C’est devenu essentiel de préserver cette biodiversité. Elle ne permet pas seulement une saine alimentation, elle rend nos champs plus résilients face aux bouleversements climatiques, aux maladies et aux insectes destructeurs. »

La biodiversité est aussi le gage d’une survie pour les prochaines générations, croit le nutritionniste. Il reproche d’ailleurs à l’industrie agroalimentaire d’avoir mis de côté ces dernières décennies une flopée de fruits et de légumes jugeant qu’ils ne répondaient pas à ses besoins de production.

« Des semenciers artisanaux font tout leur possible pour permettre à ces variétés de survivre. Nous avons créé des relations intimes avec les aliments à travers des recettes et des rituels qui sont constitutifs de nos cultures. Si l’on ne fait rien, ce sont de gros morceaux de nous-mêmes qui vont bientôt s’effacer », conclut-il.

Photo : © Julie Artacho

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