Alain Deneault: en terrain miné

65
Publicité

L’homme au bout du fil s’exprime avec un aplomb déconcertant. Le philosophe et enseignant Alain Deneault en a vu d’autres. Il a connu les affres du système judiciaire, il a affronté des zones de turbulence. Pourtant, il persévère. Avec conviction, avec un sentiment d’urgence, il présente Paradis sous terre, où il revient sur le pari risqué de l’industrie minière canadienne.

Deneault s’insurge, se cabre, s’emporte, mais toujours avec éloquence, avec patience. Une logique implacable, une démonstration solide, un livre dérangeant. Dérangeant, oui, puisque la tragédie prend forme sous nos yeux. Les sources et les rapports accablants se multiplient, les conséquences se remarquent au Canada ou à l’étranger. Car, oui, le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière. Près de 75% des sociétés mondiales d’exploration ou d’exploitation minière ont leur siège social au Canada et 60% de celles qui sont cotées en Bourse s’enregistrent à Toronto. La feuille d’érable se pare donc d’or, de fer, d’uranium…

Deneault, avec son acolyte William Sacher, lève le voile sur les activités parfois discutables des minières canadiennes (délocalisation, pollution, violence) et il démontre de quelle façon le Canada s’avère un véritable paradis judiciaire et fiscal pour ces grandes entreprises. La spéculation abonde, les réductions fiscales et les sources de financement aussi. En revanche, les redevances sont peu élevées — quand elles existent — et mal orchestrées.

Canada noir
Autant Noir Canada, paru en 2008 et qui a causé une pénible bataille juridique entre les auteurs et la minière Barrick Gold, mettait en lumière cette situation alors méconnue, autant Paradis sous terre synthétise la question. « Noir Canada était un livre écrit à vif », affirme le philosophe et professeur. « Toute l’équipe découvrait l’ampleur du problème au moment de la recherche et de la rédaction. Nous découvrions des cas très graves, nous étions confrontés à un amas de documentation que personne n’avait encore synthétisée. Avec Paradis sous terre, nous sommes moins à vif, on laisse plus de place à l’analyse. »

Pourtant, Deneault constate qu’il est toujours difficile de critiquer ou de remettre en question l’industrie minière : « Le Canada est né de la spéculation, de la corruption. C’est notre secret de famille. On ne devrait pas en parler. » Il déplore qu’on « organise le laisser-faire pour permettre à des acteurs de contourner des règles en vigueur dans leur pays. »

Au Québec, le Plan Nord en fait rêver plusieurs. D’autres, comme Deneault, se questionnent : « Le Plan Nord, c’est une zone franche. On dit aux minières : descendez chez nous et vous aurez un accès presque gratuit aux ressources, nous asphalterons vos routes, nous ne vous imposerons pas, etc. Il faut remettre les pendules à l’heure. »

Se dégager
Les poursuites, le fardeau financier, le stress… Décidément, les dernières années n’ont pas été de tout repos pour Deneault. Il s’est battu, a résisté, a persisté : « Écrire dans le monde de l’essai, c’est parler de ce qu’on ne devrait pas. C’est comme une action politique. Du moment que l’on se positionne, on crée des malaises. » Il insiste par ailleurs sur l’importance de se libérer de toutes contraintes : il aime mieux se voir comme un dégagé, plutôt qu’un engagé, car l’engagement oriente forcément la réflexion. Malgré tout, l’optimisme ne le quitte pas : « Quand on écrit, on est à la fois désespéré et plein d’espoir. Écrire permet de conserver l’espoir de trouver des solutions par la médiation de la pensée. »

Sa vision trouve un bel écho chez son éditeur, Écosociété. « C’est une maison qui rejoint un large public — pas que des militants — qui se pose des questions sur la société. Je ne sais pas combien de maisons d’édition auraient soutenu avec autant de rigueur notre lutte pour Noir Canada. »

Il poursuivra son combat, Deneault, avec son écriture dégagée et son esprit libre. Et à ses côtés, une foule de lecteurs avides de vérité.

Publicité