Michel Beaud : au royaume des inégalités, la mondialisation est maître

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Professeur émérite de sciences économiques de l'Université de Paris 7, Michel Beaud a publié Une histoire du capitalisme (Seuil, 1981), ouvrage fort remarqué et traduit, depuis, en dix langues. Il vient de faire paraître, aux éditions La Découverte, Le journal du basculement du monde.

Quel rapport voyez-vous entre la trajectoire du développement du capitalisme et l’état des écosystèmes de notre planète ?

Le capitalisme qui, à travers la satisfaction des besoins des détenteurs de pouvoir d’achat, joue un rôle central dans la reproduction des sociétés riches, est un processus de « destruction créatrice » ; sa dimension destructrice affecte les êtres humains, les structures sociales, les écosystèmes. Depuis le début du XIXe siècle, la population mondiale a été multipliée par six et la production mondiale par près de quarante, les inégalités se sont creusées, les besoins ont fortement augmenté, ainsi que les dégâts causés à la planète : que l’on pense aux pollutions industrielles, aux marées noires, à l’érosion de la couche d’ozone, à l’effet de serre ou aux possibles désastres dûs à des OGM et aux firmes et lobbies qui, privilégiant leurs exigences de profit, en sont responsables. Certes, l’étatisme peut aussi être ravageur, surtout quand il est associé à des régimes autoritaires. Mais, créant et recréant sans cesse de nouveaux besoins et de la pauvreté, le capitalisme rend nécessaires de nouvelles croissances qui dégradent de plus en plus les écosystèmes de notre planète.

Vous parlez d’un « basculement du monde ». En quoi cela consiste-t-il ? Quelles sont les transformations que cela implique ?

Selon le dictionnaire Robert, un des sens de « basculement » est : « passage rapide d’un état à un autre ». Or, sous l’impulsion des activités humaines, notre monde change à un rythme jamais atteint : nos productions, consommations et pollutions affectent gravement la reproduction de la Terre et du vivant. Les inégalités se creusent entre pays et dans les pays. De nouvelles marchandises sont sans cesse offertes aux consommateurs aisés. La mainmise des firmes sur la science leur permet de préparer et de gérer de profonds changements dans tous les domaines (alimentation, santé, information, enseignement, culture, logement…) et d’atteindre à des pouvoirs qu’on ne prêtait qu’aux dieux (sur la vie, les espèces, les hommes). Dans le même temps, les besoins essentiels de centaines de millions d’humains ne sont pas satisfaits, et des milliards d’entre eux vivent dans la pauvreté. Beaucoup rêvent de mieux vivre, mais leur vie se dégrade. Avec les inégalités abyssales et le règne de la marchandise, se met en place un nouvel apartheid, fondé sur l’argent. Est-ce ce que nous voulons ?

Comment évaluez-vous la situation dans la période actuelle ? La catastrophe est-elle devant nous ? Quelles perspectives entrevoyez-vous ?

Bien des catastrophes sont possibles : humaines ou écologiques, nationales ou régionales (regardez l’Afrique), militaires, nucléaires ou biologiques. Jamais les moyens des hommes n’ont été aussi puissants et performants : pour le pire comme pour le meilleur. Tout, désormais est affaire de responsabilité, de choix, de courage, de conscience et de ténacité. Entre 600 et 200 avant notre ère, nos ancêtres ont créé les grandes religions et les premières philosophies ; ils ont pensé l’homme et jeté les bases de la morale et de la connaissance scientifique. Nous avons à penser la nouvelle puissance de l’homme, fixer des limites et de nouvelles règles, définir des objectifs et des priorités. Chacun a sa part de responsabilité ; mais elle est particulièrement grande pour les dirigeants des grands pays, des grandes firmes, des grands organismes internationaux. Or, par rapport aux enjeux majeurs de notre temps, ils se révèlent dangereusement inaptes, inconscients, irresponsables. Il va falloir qu’on les amène à changer d’attitude ou qu’on les remplace.

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Histoire du capitalisme 1500-2000, Michel Beaud, Seuil/Points
Le basculement du monde, Michel Beaud, La Découverte/Poche
Le journal du basculement du monde, Michel Beaud, La Découverte

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