C’est assise à ma table de cuisine, alors qu’un bureau parfaitement ergonomique m’attend, que je commence à rédiger cet article, consciente que je n’arriverai jamais à faire entrer la conversation la plus riche de ma dernière année dans 12 000 caractères, mais motivée quand même à tenter de le faire. Je suis compétitive, ça ne changera jamais.

Quand la revue Les libraires m’a approchée pour écrire ce segment, j’ai eu l’impression qu’on venait de me poser la fameuse question : si tu pouvais souper avec n’importe qui, vivant ou mort, qui choisirais-tu?

J’ai tenté de trier tous les auteurs et autrices que j’admire, afin de voir qui, dans cette panoplie de magiciens des mots, je voulais le plus rencontrer. Au final, j’ai décidé d’écouter mon cœur : c’est ce que je fais le mieux.

Quand j’ai su que Matthieu Simard acceptait, j’ai fait une petite danse de la victoire. Puis j’ai commencé à stresser. C’est la première chose que je lui ai dite, d’ailleurs, quand on s’est rencontrés au Madrid 2.0, proposition de son cru, situé exactement à mi-chemin entre son Montréal et mon Lévis.

— Ben voyons donc, faut pas! a-t-il répondu, un sourire franc fendant son visage.

J’ai compris que j’étais en compagnie d’une personne que j’admire, mais qui ne se prenait pas pour quelqu’un d’admiré. La pression venait de tomber.

Je ne rencontre pas beaucoup d’écrivains, donc ça ne m’arrive pas souvent de pouvoir connecter avec quelqu’un sur le fait que c’est difficile, des fois, écrire comme métier. Quand je discute de ma job avec mes amis, ils ne me prennent pas vraiment au sérieux quand je dis que ça peut être laborieux. Et je comprends : mon quotidien, c’est de raconter des histoires. Disons que la fenêtre de plaintes se ferme assez rapidement.

Avec Matthieu, la conversation a coulé rapidement vers les difficultés du métier, vers ces choses qu’on se sent coupable d’exprimer parfois.

— Écrire, c’est une job, c’est pas une partie de plaisir tout le temps. C’est pas parce que j’aime ça que c’est facile.

C’est vrai qu’il existe cette idée selon laquelle si tu vis de ta passion, nécessairement, tu aimes chaque moment. Mais non. Plus on avance dans sa carrière, plus on se reflète sur ce qu’on aimerait dire, plus les mots peuvent prendre du temps à se pointer le bout du nez. J’ai mené la conversation vers le pourquoi je l’avais choisi, lui, pour cette entrevue :

— Je me suis posé la question : qui m’a fait vivre le plus d’émotions en lisant? C’était toi et Sophie Bienvenu. Ensuite, je me suis dit que j’ai plus aimé tes personnages, parce que j’avais l’impression que ça aurait pu être des amis. Et surtout… c’était la justesse de tes mots.

C’est une amie qui m’a fait découvrir Matthieu en me prêtant Les écrivements, un roman portant sur une vieille dame qui tente de retrouver son amour perdu avant qu’il perde lui-même la mémoire. C’est une ode à l’amour, une ode aux souvenirs, une ode aux choses qui nous séparent. Mon amie m’a dit : « Tu vas voir, c’est la plume la plus juste que tu auras jamais lue. »

Et mon Dieu qu’elle avait raison. Je dis ça à Matthieu, et je vois combien ça lui fait plaisir. Ce n’est pas rien : dire à un écrivain que ses histoires sont bonnes, enlevantes, prenantes, c’est une chose. Mais qu’elles sont justes? C’est le défi d’une vie.

— Dans tous tes livres, y a jamais un mot de mal placé.

Ça m’impressionne.

À ce point-là, je sais que j’ai l’air groupie et je m’en fous. Je le suis.

— Ben… merci.

J’aime qu’il prenne le compliment. S’il y a une chose que je déteste, dans la vie, c’est la fausse modestie. Il continue :

— Je pense que c’est dans le retravail que ça se passe, version deux, trois, dix mille, c’est là qu’il faut se rappeler la minutie de tout ça. Avant, j’étais plus dans le garrochage spontané, dans l’émotion, là, je m’autorévise, ma V1 va être plus retravaillée.

Je m’identifie beaucoup à ça. Le garrochage. Et on dirait que ça sonne négatif, dit comme ça, mais c’est simplement le terme qu’on utilise pour dire qu’on écrit ce qui nous vient en tête, qu’on est en quête de cette émotion-là, qu’on ne veut pas la laisser filer. Puis, au fil des romans, des thèmes, des mots… vient cette capacité de refléter sur son travail, vient le moment de se poser cette fameuse question : qu’est-ce que j’ai envie de raconter? Avant d’avoir parlé avec Matthieu, je me disais déjà que mon processus était en train de changer, que cette urgence d’écrire que j’avais à mes premiers romans était en train de se muer en quelque chose de plus posé… De plus réfléchi?

Matthieu continue :

— Je ne me relis pas à la fin, mais je me relis après chaque phrase. J’arrête, je me questionne, je la modifie. Le geste d’écrire maintenant est beaucoup plus long. Et c’est devenu un obstacle pour moi. Je trouve ça plus long, lent et dur d’écrire.

Je vois dans ses yeux, dans sa voix, que le ton change. Je vois combien il est sincère dans cette espèce de douleur-là, celle de vouloir être encore capable d’écrire 1 500 mots à l’heure, mais de ne plus y arriver. J’ai écrit quatre romans en quatre ans. J’en ai craché des mots. Et ces temps-ci, je conteste chaque tournure de phrase. Je m’assois à mon ordinateur et j’ai l’impression de tenter de sortir le petit reste de dentifrice du tube. C’est un peu lourd. Ce n’est pas un manque d’inspiration, c’est plus… une obsession de dire exactement ce que j’ai en tête. Et de bien le faire.

— C’est tough. Surtout quand t’es passé par une autre phase avant où tu écrivais un roman en cinq jours et que ça marchait! Sauf que c’est pas ce que tu veux faire maintenant. Quand ça te prend deux, trois heures juste pour commencer à travailler et que trois heures après, t’as écrit huit phrases… c’est pas mal plus décourageant que le contraire. C’est pour ça que je suis un peu dans un gros blocage actuellement.

Je trouve ça tellement humain, sa façon de s’exprimer sans tabou, sans honte. Quand je parle à Matthieu, j’ai l’impression de le lire. Il ne se défile pas, il ne se cache pas. À un certain moment, je lui demande s’il y a des choses qu’il préfère que je ne mentionne pas de notre discussion, parce que ça reste ça : une discussion entre deux êtres profondément animés par l’amour des mots. On peut se perdre là-dedans. Mais il me regarde avec l’œil brillant et me dit qu’il n’a rien à cacher. À vif, comme sa plume.

Il me parle du tome 2 de sa série jeunesse Les Prank. C’est là qu’il rencontre son plus gros blocage actuellement. Je lui demande s’il aime ça, écrire pour les jeunes.

— Oui, vraiment! Je pense pas à qui j’écris : ce sont des histoires d’ados, donc mes personnages sont adolescents, j’essaie d’être crédible et réaliste, oui, mais je pense pas « oh! je m’adresse à un ado ». Tu sais jamais pour qui tu écris de toute façon.

Je hoche si fort de la tête que je vais me faire mal au cou. J’écris des livres sur les émotions. On me qualifie d’auteure 18-35. Pourtant, des gens de tous les âges me lisent. Le plus dangereux, quand on écrit, c’est commencer à penser à la personne qui reçoit ce qu’on envoie dans l’univers. Matthieu partage mon opinion et ça me mène à la question que j’avais le plus hâte de lui poser :

— Tu parles de ne pas te mettre de restrictions quand tu écris et je me demandais : est-ce que c’est parce que tu trouves que tu ne dois rien au lecteur ou si tu lui fais juste vraiment confiance?

Il se replace sur sa chaise, penche la tête de côté. J’ai piqué sa curiosité. Ma job est faite. J’avais en tête de l’amener à se poser au moins une question sur son écriture qu’il ne s’était pas déjà posée :

— C’est une excellente question. Attends une minute, là, je vais y réfléchir.

Et encore une fois, le ton change, ça se fait naturellement. Toute la conversation oscille entre lumière et noirceur. Je suis dans un roman de Matthieu Simard.

Il s’ouvre à moi sur sa tentative de suicide. J’étais au courant, j’avais lu une publication sur Facebook qu’il avait faite sur le sujet il y a quelques années. J’avais versé des larmes. C’est rare que je ne verse pas au moins une larme quand je lis quelque chose qu’il a écrit. J’aurais pu être étonnée qu’il soit aussi sincère, mais je comprends que l’ouverture fait partie de lui. Il m’explique que c’était le moment le plus égoïste de sa vie, mais aussi celui où il a eu l’impression pour la première fois d’aller au bout de quelque chose. Que ça a été le moteur derrière son premier roman. Il a les yeux humides, mais sa voix est ferme. Je l’imagine terminer son premier roman, au jour de l’An, à 4 h du matin, il y a 17 ans. J’imagine tout le chemin qu’il a parcouru. J’ai envie de mettre ma main sur la sienne, mais je ne veux pas l’interrompre. Et tout bonnement, on revient vers la lumière. Échecs amoureux et autres niaiseries. Le roman qu’il a enfin mené à terme, pour lui, après ne pas avoir mis un terme à sa vie.

Je ne pensais pas creuser là quand je lui ai demandé pourquoi il écrivait, et pour qui. Mais je sais que les romans qu’on crée pour soi sont nos meilleurs, nos préférés. C’est pour ça qu’il ne pense pas au lecteur. Aussi simple que ça.

La conversation migre vers la critique, parce qu’écrire veut également dire être lu. Il m’explique que c’est un couteau à double tranchant :

— Les commentaires négatifs, c’est dur parce que tu veux prouver à ces gens-là qu’ils ont tort, mais les positifs, c’est difficile aussi parce que tu te dis : voici mon repère de personnes à qui il faut que je plaise. T’essayes de trouver une recette, mais ça marche pas. Pourquoi, par exemple, Les écrivements marche plus qu’un autre? Je sais pas.

Je lui avoue que mon préféré à moi, c’est Ici, ailleurs, qui attend impatiemment dans mon sac la fin de notre discussion pour se faire dédicacer. Ce roman, je ne m’en remettrai jamais complètement. C’est une de ces œuvres qui laisse une marque indélébile.

Je lui dis que ce qui m’a le plus frappée dans ce roman, c’est l’impression qu’il a fait « fuck la carapace ». Il comprend exactement ce que je veux dire, malgré mon choix de mots douteux. On y entre directement dans les émotions.

— Ça a été écrit comme ça, aussi. Dans la douleur.

J’ai l’impression qu’à ce moment-là, quelque chose se scelle entre nous, une compréhension des gens qui ont souffert par les mêmes mots, même si c’est lui qui les a écrits et moi qui les ai lus, on partage l’amour de cette histoire et il n’y a pas plus puissant que ça.

Ben… peut-être un type d’amour plus puissant. Je lui confie qu’Ici, ailleurs m’a donné envie d’avoir des enfants parce que ça a l’air du plus bel amour au monde… mais en même temps, ça ne me donne vraiment pas envie d’en avoir parce que ça semble l’affaire la plus déchirante au monde. Aimer autant, ça ne peut pas être sain… Pourtant, une partie de moi aimerait vivre ce genre d’amour au moins une fois, pour me le faire comprendre. Je suis mêlée, à cause de lui.

Matthieu éclate de rire et hausse les épaules. Il a l’air de dire sorry not sorry. Il m’explique que la paternité est en effet sa plus belle expérience, mais… oui, ça peut faire mal en maudit.

On continue de parler d’émotions, parce qu’au fond, elles font partie de nous. On discute du fait d’écrire sur les relations. Je lui avoue que je trouve ça tough, des fois, être une femme qui écrit sur les relations humaines, parce qu’instantanément, on dirait que je me retrouve placée dans une sous-catégorie. Comme si la lecture sur les émotions était féminine, et donc moindre. Pourtant, Matthieu écrit la même chose. Je n’ai pas la prétention de dire qu’on écrit les mêmes romans, mais reste qu’il explore souvent les relations humaines. Jamais on n’oserait qualifier ses romans de chick lit. Même le terme chick lit, je lui dis que ça me fâche, que ce genre mérite plus de respect. Il affirme que cette appellation devrait simplement disparaître. J’aime qu’il comprenne sa position d’auteur, d’homme dans la littérature, le privilège qu’il a de ne pas se faire regarder de haut, même s’il écrit sur les émotions.

— C’est con, tout le monde en a, des émotions.

Merci, Matthieu. Merci.

Je sens que notre moment tire à sa fin. Je pourrais rester ici toute la journée. On sort dans l’humidité de mi-septembre et on va se tenir au milieu des dinosaures. Je prends Matthieu en photo, accoté sur un tricératops. Du moins, c’est ce qu’il dit, mais il avoue ne pas être calé en Jurassic Park. On rit fort, on dérange peut-être. Oh well. Je suis entrée au Madrid avec quelqu’un que j’admirais. J’en ressors avec un ami.

Je vous souhaite d’avoir la chance, une fois dans votre vie, de rencontrer une personne dont vous êtes fan et qu’elle soit en tous points encore mieux en vrai que dans votre tête.

Et si un jour on vous pose la question « Vivant ou mort, avec qui voudrais-tu souper? », je vous suggère fortement de dire : Matthieu Simard.

 

Marie-Christine Chartier
L’auteure Marie-Christine Chartier explore avec nuance et finesse les hésitations du cœur ainsi que la complexité et la beauté des relations, tant en amitié qu’en amour. Elle a publié chez Hurtubise quatre romans absolument charmants et aux titres qui le sont tout autant : L’allégorie des truites arc-en-ciel, Tout comme les tortues, Le sommeil des loutres et La floraison des nénuphars. Cette dernière œuvre est la suite de L’allégorie des truites arc-en-ciel. On retrouve Max et Cam quatre ans plus tard, qui sont maintenant en couple après avoir réalisé qu’ils étaient plus que des amis. Comment faire maintenant pour que leur amour perdure à travers les aléas de la vie? Marie-Christine Chartier nous raconte ici son inspirante rencontre avec un auteur qu’elle admire. [AM]

Photo de Matthieu Simard : © Idra Labrie
Toutes les autres photos : © Marie-Christine Chartier
Photo de Marie-Christine Chartier : © Julie Artacho

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