Trois amoureux des arbres

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Les éditions MultiMondes ont publié ce printemps un ouvrage bien curieux : hybride entre livres d’art et essai scientifique vulgarisé, Arbres en lumière rend hommage à ces éléments de la nature, si forts, si beaux et si importants. C’est l’heureux mélange de trois passionnés qui a rendu possible le tout : François Reeves le cardiologue et l’idéateur de la Journée de l’arbre de la santé, Alain Massicotte le peintre et Michel Leboeuf le biologiste également rédacteur en chef de la revue Nature sauvage. Nous avions quelques questions au sujet de ce livre et, tous les trois, ont choisi d’y répondre.

Toutes les images ci-dessous sont tirées du livre (Arbres en lumière, Multimondes).

Comment le trio qui signe ce livre s’est-il formé?

François Reeves (FR) : Par amitié réciproque et passion des trois pour les arbres : je connais Alain depuis l’enfance et j’ai toujours admiré son talent de dessinateur et peintre nettement hors-norme et s’approchant des grands maîtres. J’ai connu Michel alors que je lui ai remis le prix Hubert Reeves au nom de l’Association des communicateurs scientifiques pour Nous n’irons plus au bois (2011). Après une conférence conjointe à la Maison des arts de Laval (2013) organisée par le Bois-de-l’Équerre pour la défense des milieux naturels, Michel a suggéré que l’on crée quelque chose ensemble. Nous avons conçu alors l’exposition Trialogue sur l’arbre à la Maison de l’arbre Frédéric-Back du Jardin Botanique de Montréal et ce livre, Arbres en lumière est la version développée de l’expo présentée en 2016 et actuellement en cours.

Alain Massicotte (AM) : François est mon cousin et surtout mon ami, il m’a approché au sujet d’un livre qu’il voulait illustrer par une série de paysages que j’avais démarrée en 2006.

Michel Leboeuf (ML) : Alain et François se connaissaient depuis longtemps. J’ai croisé la route de François à plusieurs reprises ces dernières années et notre passion commune pour les arbres nous a soudés naturellement…

 

De quelles façons les sciences, les mots et les illustrations sont-ils mis au service des arbres dans ce livre?

FR : Par la séduction. Beauté, science botanique et science de la santé, tout est arbre! Nous utilisons les peintures d’Alain comme évocation de thèmes et avons monté l’architecture du livre de façon à couvrir tous les aspects essentiels de ce que la science a documenté à ce jour dans notre relation avec le végétal. Le texte est plus symbolique et poétique que didactique.

AM : En réalité Michel et François se sont inspirés de mes peintures pour la rédaction et ils ont sélectionné les tableaux selon les saisons.

ML : Par le jeu d’une idée toute simple; celle de parler du même objet, mais par des angles différents. Une symbiose entre l’art, la littérature et diverses sciences (médecine environnementale, écologie, biologie, etc.).

 

Est-ce que beaucoup de recherches ont été nécessaires avant d’entamer la rédaction de ce livre?

AM : Elles étaient déjà faites, dans le parcours de Michel comme rédacteur-chef de la revue Nature Sauvage et ses publications et dans les livres précédents de François (Prévenir l’infarctus, Planète cœur) en plus de son travail au CA de la SOVERDI et comme idéateur de la Journée de l’arbre de la santé qui fête ses 10 ans le 27 septembre 2017. Arbres en lumière est le mûrissement de milliers de lectures et données scientifiques et à ce stade, un livre s’imposait en croisant données biologiques et médicales, car cela n’avait pas été fait.

Comment trouvez-vous le contact avec vos lecteurs?

FR : Nous espérions séduire, et ça semble gagné. La réaction de celui qui tient l’ouvrage pour la première fois est invariablement « Comme c’est un beau livre! ». De fait, avec l’attrition des livres papier aux dépens du numérique, nous avons misé sur la valeur ajoutée du beau livre d’art rehaussé d’une science de haut niveau et très accessible.

AM : Je ne peux pas vraiment répondre à cette question, mais je peux tout simplement parler de l’appréciation des gens lors de mes expositions. En général, les gens aiment l’intimité, la sérénité qui se dégagent de mes tableaux…

ML : Par la beauté des images d’abord, puis par celle des mots, puis par celle des concepts et des notions d’écologie, de biologie et de physiologie évoqués – qui sont aussi, soit dit en passant, une belle réalisation de Mère Nature.


Quel est votre plus beau souvenir lié à un arbre ou à une forêt?

FR : Quand j’ai découvert « Cathedral’s Grove » sur l’île Victoria en Colombie-Britannique. Des pins monumentaux, immenses et pluricentenaires de l’envergure des grands séquoias de Californie. Ça dégageait une atmosphère sacrée et on avait tendance à parler à voix basse comme dans une basilique. On s’y sentait si bien!

AM : Rien de précis, c’est surtout avoir connu la vie de chalet au début des années 2000 qui m’a poussé ainsi à peindre des paysages. Ce fut une divine révélation étant illustrateur publicitaire depuis plus de trente-cinq ans.

ML : Marcher en solitaire dans une vieille forêt de bouleaux jaunes trois fois centenaire, sur le socle du Bouclier canadien, sous un ciel d’octobre, avec comme seul son audible autour de moi le froissement des feuilles.

 

Qu’avez-vous appris qui vous a le plus surpris lors de la conception/rédaction de cet ouvrage?

FR : Ça reste la filiation moléculaire de la sève et du sang. L’hémoglobine et la chlorophylle ont même molécule de base! De là, on comprend toutes les autres filiations physiologiques humain-arbre qui deviennent logiques.

AM : Les ressemblances entre les physiologies humaine et végétale.

ML : La puissance du partenariat entre les organismes vivants de la forêt. On évoque souvent la nature comme le lieu de toutes les compétitions entre les espèces – le fameux Struggle for life qui remonte à Charles Darwin, mais au fond, en biens et services échangés au fond des bois, il y a passablement plus d’entraide et de collaboration que de lutte ou de compétition… Une leçon à méditer pour nous aussi… 

 

Quels ont été vos ouvrages et livres de références pour la conception/rédaction d’Arbres en lumière?

FR : Comme inspirations de base, les œuvres d’Hubert Reeves (Poussière d’étoile, Mal de Terre), de David Suzuki (L’arbre : Une vie) et de Francis Hallé (Éloge de la plante, Il était une forêt). Pour la science, au moins 500 publications scientifiques provenant des meilleurs journaux, de Nature au New England Journal of Medicine.

AM : Pas de livre, mais les paysages de l’Estrie!

ML : Surtout des articles scientifiques, et quelques écrits précédents de ma part (Nous n’irons plus au bois, Le Québec en miettes, de même que le guide Arbres et plantes forestières du Québec et des Maritimes).

 

Votre livre est divisé en quatre parties, en autant de saisons. Quelle est votre saison préférée et pourquoi?    

FR : Le printemps! Plus je vieillis, plus j’ai besoin de cette saison qui rafraîchit, rénove et rajeunit tout. J’ai l’impression que ça m’arrive en même temps. Mais j’aime le charme des quatre. Comme disait Gilles Vigneault : avec nos saisons, pas besoin de voyager, c’est le pays qui voyage!

AM : L’hiver, par la stylisation du paysage, il n’y a plus de feuillage, que des branches et des conifères qui contrastent avec le tapis de neige et le ciel.

ML : Biologiquement, c’est l’été, car c’est le retour des oiseaux, des papillons, la feuillaison, le dégel des amphibiens; le feu d’artifice du biologiste quoi! Mais je crois que j’aime encore plus l’automne, pour les odeurs poivrées des feuilles mortes, l’air qui pique le nez et la douceur de la lumière déclinante de l’équinoxe.

 

Selon vous, en quoi l’image apporte aux mots et en quoi les mots complètent les images?

FR : En boutade, Michel et moi disions qu’entourés des splendides œuvres d’Alain, les textes avaient l’air encore plus « songés ». Et que les textes donnaient aux toiles une complicité plus étroite avec ces arbres que nous trouvons certes beaux, en amenant un signifiant et une raison encore plus élevée de les aimer. C’est le but : on protège ce qu’on aime et comprend.

AM : Étant artisan de l’image, je ne pense pas aux mots dans mon processus de création, alors, je suis toujours surpris de voir accoler diverses réflexions à mes tableaux, c’est toujours une belle surprise.

ML : Ce jeu de ping-pong incessant, d’allers et de retours entre l’image et le texte permet de faire soi les notions déployées dans le livre, car l’émotion les rend tangibles, compréhensibles, digestes. 

Comme lecteurs, que lisez-vous?

FR : Tout, de Victor Hugo à Bernard Pivot! Mais je délaisse de plus en plus la fiction pour aller vers des ouvrages où j’apprends. La vie est courte et il y a tant à savoir! La nouvelle tendance est de concilier faits réels et plume invitante, ce qui est un défi. Il faut cultiver le plaisir!

AM : Surtout des polars, j’aime bien les maladies de l’âme!

ML : De plus en plus rarement de la fiction (je ne me rappelle d’ailleurs plus quel était le dernier titre de fiction que j’ai lu!); surtout des ouvrages de vulgarisation, de sciences naturelles, et ce qu’on appelle aux USA du nature writing.

 

Arbres en lumière
François Reeves, Michel Leboeuf et Alain Massicotte
Éditions MultiMondes
168 p. | 29,95$
En vente ici.

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