Vanyda : Suivre ses propres traces

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« D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? » Le titre de la célèbre toile de Paul Gauguin résume parfaitement les questionnements que sonde Vanyda dans Entre ici et ailleurs. Si dans cette histoire la bédéiste franco-laotienne se frotte au métissage et à la recherche des origines, c’est que le tout trouve une forte résonnance en elle. Entretien avec une artiste qui prouve avec cet ouvrage que les femmes sont loin d’être absentes sur la planète BD.

De nos jours, la BD n’est plus uniquement l’apanage de la rigolade ou de la science-fiction. Si l’on encense encore – et avec raison – les Hergé, Peyo et Goscinny de ce monde, il faut avouer que le 9e art s’est profondément modifié, autant dans son public que dans son offre, et donne maintenant lieu à différents sujets, différentes façons de manier phylactères et petites cases. Et de plus en plus, les femmes font leur place avec talent et audace dans ce terrain de jeu jadis réservé aux hommes. Vanyda Savatier, trentenaire qui signe de son unique prénom ses BD (les trilogies « L’immeuble d’en face », « L’année du dragon » et « Celle que… » ainsi que le magnifique recueil d’histoires courtes Un petit goût de noisette), fait montre d’une belle maturité dans son nouveau one-shot d’inspiration autobiographique de 196 pages.

Dès les premières planches d’Entre ici et ailleurs, on découvre Coralie, 28 ans, seule dans son appartement. La jeune femme tente de remettre de l’ordre dans sa vie à la suite d’une rupture amoureuse. C’est donc à un moment charnière de son existence qu’on assiste : prête à faire de nouvelles rencontres (en amitié comme en amour), à essayer de nouvelles activités (elle s’adonnera notamment à la capoeira), Coralie sera également prête à jeter un véritable regard sur ses origines, pour comprendre cette dualité – cette double origine en raison d’une mère française et d’un père laotiens – qui réside en elle et que toutes ces nouvelles rencontres catalysent. Si ces nouvelles amitiés sont déterminantes pour elle, c’est que c’est à leur côté qu’elle se reconstruit et que cette étape nécessite une quête profonde de l’identité qui passe par une meilleure connaissance de ses origines. Et bien qu’elle prépare à merveille les nems, Coralie connaît bien mal le pays qui a vu naître son père et dont elle porte les traits, un pays qui l’attire maintenant, car, qu’elle le veuille ou non, il fait partie d’elle.

Métissée jusque dans la forme  
Le style de Vanyda, des traits fins et clairs qui répondent à certains canons japonais, s’apparente au mouvement de la Nouvelle Manga (qui regroupe des auteurs français et japonais, dont Frédéric Boilet et Jirô Taniguchi). On découvre ainsi son œuvre, à mi-chemin entre la BD européenne et le shōjo manga (la forme de la BD étant donc pile-poil dans le sujet de fond qu’est le métissage). Pas étonnant, lorsqu’on apprend que Vanyda a grandi en regardant les dessins animés japonais de l’époque (Olive et Tom, Les chevaliers du zodiaque, Max et compagnie). « Entre 7 et 10 ans, ce que je voulais faire, c’était plutôt du dessin animé. Puis, on m’a offert un “Thorgal” à mes 10 ans et là, ça a été la révélation! On pouvait faire de la BD dramatique avec un dessin (semi) réaliste! Jusque-là, je n’avais lu que “Tintin” et “Astérix”. Je me suis immédiatement mise à faire une histoire mêlant un graphisme très japonisant et un découpage plutôt franco-belge. Sambre de Yslaire et Akira d’Otomo m’ont ensuite beaucoup influencée sur le plan du découpage. Puis le manga Asatte Dance ainsi que les BD de Frédéric Boilet, pour les histoires. » Si ses inspirations sont plutôt masculines, les thématiques de ses BD explorent néanmoins les amitiés entre filles, l’ambiguïté des relations et la quête de soi.

Aller à la rencontre de l’ailleurs
Questionnée au sujet du désir d’aborder une telle thématique, Vanyda explique que c’est l’année de ses 22 ans, alors que ses amis commençaient à voyager notamment en Asie, qu’elle a réalisé qu’elle en connaissait finalement bien peu sur ses origines laotiennes. Elle s’est donc rendue sur place, et ce fut un choc. « Sur le moment, je n’ai pas trouvé les bonnes personnes pour en parler – les copains à qui j’en parlais n’y voyaient souvent que le petit paradis, paysages super beaux où l’on mange très bien et l’on se fait masser pour pas cher, tandis que moi, j’y voyais aussi tout ce qui découle d’une dictature communiste, toute l’Histoire qu’il y a derrière. De plus, si en France j’étais l’Asiatique de service, là-bas, je ne me suis jamais sentie aussi Française. En revenant, c’était finalement toute une identité à refaire. »

Ce cheminement, c’est également celui que vivra Coralie alors qu’elle recherche cette unicité qui la distingue : « Comme je le dis dans la BD, faire le voyage c’est important, le digérer, ça l’est tout autant! » Effectivement, découvrir une partie de notre patrimoine familial, découvrir ce qui nous construit, prend du temps. Et si dans la BD Coralie fait ce parcours en une seule année, Vanyda avoue qu’elle, elle a mis dix ans à le faire!

C’est ainsi qu’entre ce voyage au Laos et la parution d’Entre ici et ailleurs, plus d’une décennie s’est écoulée. « Le genèse du projet s’est faite en 2006 à mon retour de Corée du Sud, où j’étais allée pour le compte des éditions Casterman. J’avais écrit pour le collectif Corée une histoire sur un frère et une sœur franco-coréens qui découvraient pour la première fois le pays de leur père. Ensuite, je me suis dit que j’aimerais faire une histoire plus longue sur ce thème du métissage et il m’a donc fallu presque dix ans pour mener le projet à terme. J’ai bien sûr noté plein de détails, d’anecdotes pendant toutes ces années. Et j’ai même sans doute provoqué des rencontres et des discussions autour de ce thème pour nourrir mon projet (et mon propre parcours, bien sûr, les deux étant intimement liés). J’avais déjà parlé de ce projet à mes éditeurs, à la fin de la série des « Celle que… » en 2012, mais finalement, j’avais préféré commencer par faire Un petit goût de noisette, plus léger à porter qu’Entre ici et ailleurs pour lequel je sentais que je n’étais pas encore tout à fait prête. » Le temps aura donc permis à Vanyda de mijoter la réflexion, et c’est sans doute ce qui rend le tout crédible puisque nuancé, touchant puisque véridique.

Des garçons et du sport
Autour de Coralie gravitent plusieurs personnages, principalement masculins. Certains sont des collègues à l’allure chinoise, d’autres des amis d’amis qui la pousseront dans ses retranchements profonds ou encore des compatriotes de capoeira (nous y reviendrons). Kamel, un personnage fort, également en quête de ses origines, permet à Vanyda de mettre en relief les émotions découlant du métissage. Et le fait qu’il soit un homme n’est pas anodin : s’il est inspiré d’un véritable ami de la bédéiste (qu’elle a accompagné dans sa ville natale, alors qu’elle était invitée au Festival international de la BD d’Alger en 2013), il possède une fonction narrative bien importante : « Dans le cas de Coralie et Kamel, la double polarité (le fait qu’ils ne soient pas du même sexe, ni de la même origine) renforce les points communs qu’ils ont dans leurs différences. Avec quelqu’un du même sexe et de la même origine, ils auraient plutôt eu tendance à voir uniquement les différences », explique Vanyda, dont la démarche opère efficacement.

Dans ce désir de se reconstruire, Coralie décide de se prendre en main et de se mettre au sport. « Je pratique la capoeira depuis plus de dix ans maintenant. J’ai découvert ce sport, comme Coralie, en jouant à Tekken 3 [jeu vidéo de combat] avec mon frère quand j’avais 17 ans. Il m’a fallu ensuite plusieurs années avant de faire le pas et de m’inscrire dans un club. Ce qui m’a attirée, c’est le fait qu’il y a du combat avec relativement peu de contact, mais aussi des acrobaties », explique celle qui, plus jeune, avait plutôt pratiqué la gymnastique, comme Valentine, la touchante héroïne de la trilogie « Celle que… ». « Par contre, je me suis longtemps demandé comment ça se faisait que parmi tous les arts martiaux, qui sont majoritairement asiatiques, j’en avais choisi un qui ne l’était pas. Finalement, je pense que j’ai appris bien plus sur moi et mes origines avec ce sport brésilien qu’avec n’importe quel autre sport. Il faut parfois passer par une autre culture pour mieux comprendre la sienne : c’est toute l’histoire d’Entre ici et ailleurs, finalement! » résume-t-elle.

Photo : © Cecile Gabriel

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