Une aventure de Lewis Trondheim au Québec

28
Publicité

Été 2014. Luc Bossé assiste à une classe de maître donnée par le bédéiste français Lewis Trondheim à Québec. L’éditeur de Pow Pow est loin de se douter qu’il repartira de cette présentation avec le projet de publier le célèbre auteur de bande dessinée qui a marqué une génération entière par son humour absurde et délicieux. Moins d’un an plus tard vous, lecteur, pouvez constater en tenant Capharnaüm entre vos mains que Trondheim ne rigole pas quand il a une idée.

« Je trouvais que les livres venant de France étaient trop chers. Donc, j’ai demandé à L’Association et à Luc Bossé s’il était possible de sortir une édition québécoise en parallèle qui ne serait pas à un prix exorbitant. Luc a lu le livre et comme cela a été à son goût, nous avons pu tenter cette expérience. J’espère que les lecteurs et les libraires en seront satisfaits. Et que l’on pourra recommencer », écrit Trondheim du bout du doigt sur son iPhone, de retour d’Angoulême.

Joyeux bordel!
Capharnaüm – qui raconte grosso modo les déambulations d’un lapin pas très malin qui réussit, par un coup du sort incroyable, à côtoyer son superhéros préféré, dont il n’avait jusqu’alors effleuré le quotidien que par l’entremise d’un feuilleton dessiné lui étant consacré – devait compter à la base 5000 pages (quand on sait que la série « Donjon » du même auteur était prévue en plus de 300 tomes, on ne sourcille pas devant quelques milliers de pages, cela va s’en dire). Or, lecteur, avant de fuir en courant cette bande dessinée titanesque, sachez que celle-ci n’a jamais épousé sa conclusion. C’est pour ça qu’il est écrit en tout petit en dessous du titre « récit inachevé ». Il faut toujours lire les petits caractères avant de prendre ses jambes à son cou.

On demande donc à M. Trondheim à quel moment il a décidé que, tout compte fait, 280 pages suffiraient. Sa réponse : « À la page 280 ». On savait avant même de risquer nos questions que le père biographique de Lapinot n’a pas la réputation de porter les journalistes dans son cœur, alors autant dire qu’on courait un peu après des réponses caustiques. Pourtant, il ajoute, bon joueur cette fois : « Appollo m’a proposé le concept du scénario de L’île bourbon 1730, et ça m’a tout de suite excité comme idée. Pour moi, Capharnaüm était un projet personnel pour développer une écriture sans crayonné, directement dans des carnets. À 280 pages, pour moi le travail expérimental était fait. » Les Paul Houde de la bande dessinée parmi vous se sont tout de suite rappelé que L’île Bourbon a été publiée en 2007, et ont ainsi compris que Capharnaüm a une petite saveur de la décennie précédente. « Cette histoire a été dessinée entre juillet 2003 et janvier 2005 », ne s’en cache pas, dans l’avant-propos, celui qui a cofondé la maison d’édition L’Association.

« J’ai commencé ce projet juste après le dernier album de Lapinot. Et ça m’amusait de prendre encore un lapin comme personnage principal », explique le prolifique bédéiste qui n’a pas encore fléchi devant la tâche rebutante d’écrire sur son téléphone intelligent. Bref, ce n’est certainement pas par nostalgie que Trondheim a mis en scène un nouveau lapin ascendant crétin dans Capharnaüm. « Plus par provocation que nostalgie », tranche-t-il.

Gotham City façon Trondheim
Ah, on a oublié de dire : Capharnaüm, c’est le nom de la ville dans laquelle le héros masqué Willard Watte tente de contrecarrer les plans diaboliques du supervilan Gashinga. Mais la partie n’est pas gagnée pour Watte, d’autant plus qu’il se retrouve avec un libraire, aux longues oreilles et à l’esprit raccourci, dans les pattes. Dans un décor fantasmé (« la documentation n’est pas mon fort »), mais assez européen dans l’ensemble, l’intrigue se tisse à grand coup de succulentes répliques trondheimiennes (qui n’ont rien cela dit à voir avec la Norvège, pour les Paul Houde de la BD toujours parmi nous qui se seraient souvenus que Trondheim est un pseudonyme inspiré d’une ville scandinave du même nom), de rebondissements enlevants et de mystères qui demeureront à jamais non résolus. C’est bien sûr un roman graphique, mais – Lewis Trondheim n’ayant jamais été très amateur de conventions et d’étiquettes – c’est finalement beaucoup plus que ça. Disons simplement que c’est un polar dessiné postmoderne et audacieux qui n’a pas peur de ridiculiser le ridicule et qui ajoute un peu de désordre bien senti dans un capharnaüm déjà bien établi. 

 Crédit photo : Pierre Duffour

 

Capharnaüm
Pow Pow
280 p. | 29,95$

 

 

Publicité