Tom Gauld : Humour galactique

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Deux ans après la parution de son hilarante compilation de vignettes Vous êtes tous jaloux de mon jetpack, l’auteur écossais Tom Gauld nous revient en force avec Police lunaire, un atypique western spatial et existentialiste au souffle beckettien.

D’entrée de jeu, l’illustre auteur de strips humoristiques publiés dans les réputés The Guardian et New Scientist Magazine avoue trouver la réalisation d’un roman graphique ardue. « Le plus difficile avec la création d’un long récit, c’est de se convaincre que ce que nous nous évertuons à raconter sous ce format vaut la peine, d’autant qu’une brève histoire en quelques cases exige tout au plus une journée de boulot. » C’est d’ailleurs dans un gag de son précédent album qu’il a trouvé l’inspiration de son délicieux Police lunaire.

Avec un titre qu’on dirait tout droit sorti d’un film de série B des années 80, Police lunaire nous convie – fort heureusement – aux antipodes des frénétiques péripéties d’un Jean-Claude Van Damme faisant régner la loi à coup de pistolet laser. On y voit plutôt un agent de la paix en mal d’aventure habitant sur l’astre de la nuit, que ses rares réfugiés désertent afin de retourner sur Terre. Gauld nous sert un récit antifictionnel, en somme. « Dans les années 80, on se figurait y faire tout plein de trucs qui n’auront finalement jamais lieu. Si le diptyque lunaire de Tintin et 200 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick ont bercé notre imaginaire, Police lunaire en altère l’excitation afin de présenter une dystopie vraisemblable. » Peuplé d’installations et de robots en complète désuétude, cette colonie fantomatique n’a absolument pas l’aura clinquante habituelle du genre. D’un grand pas pour l’humanité, c’est tout au plus un vulgaire trébuchement que la conquête lunaire aura engendré.

Sur le satellite terrestre, donc, aucun crime ni délit n’a lieu. Ici, l’ennemi à abattre est la mélancolie. Par le truchement d’une approche picturale minimaliste, où le trait est fragile à l’instar du protagoniste, Gauld s’amuse à insérer de longues séquences silencieuses. « J’aime laisser des espaces vacants afin que le lecteur puisse s’y projeter, s’y investir. Ces espaces réfléchissent sa propre sensibilité, ses repères. Ainsi, pense-t-on souvent que je m’abreuve aux écrits de grands philosophes, romanciers ou dramaturges. Or il n’en est pourtant rien. » A-t-il seulement lu l’auteur et dramaturge irlandais Samuel Beckett dont l’œuvre a tant de points communs? « Oui, tant ses romans que son théâtre, qui se terrent assurément quelque part dans un coin reculé de mon subconscient. »

Redoutable alchimiste, l’auteur y insuffle un parfait dosage d’humour, évitant ainsi de faire sombrer le lecteur dans les abîmes de la tristesse. Si son Goliath se termine de façon brutale, c’est sur une note d’espoir qu’il conclut le présent récit. « Au départ, le policier terminait avec pour unique compagnon un robot. C’était insoutenable. Je n’avais ni la force ni le droit de lui faire ça », s’amuse l’artiste. Ainsi, les magnifiques scènes muettes cèdent la place à de rares dialogues d’une justesse fulgurante. L’humour flegmatique anglais est assurément un défi de taille à traduire, surtout pour le médium de la bande dessinée, dont la spécificité repose sur l’agencement des mots et des images. Peu de traducteurs sont sensibles à la chose, d’où la difficulté d’en dégotter de bons. Le passage de l’anglais au français se fait ici sans heurt, la traduction n’édulcorant à aucun moment le verbe et l’esprit unique de Gauld. C’est d’ailleurs son collègue Nicolas Malher, avec qui il partage une indéniable parenté d’esprit, qui se charge de la traduction allemande de ses œuvres.

L’artiste à la stature internationale a choisi d’être publié chez deux éditeurs québécois pour ses plus récents albums, soient Drawn & Quarterly en langue anglaise et Alto pour la traduction française (en partenariat avec les éditions 2024 pour le territoire européen). « C’est un immense privilège de collaborer avec des éditeurs entièrement consacrés à la qualité des livres qu’ils produisent et au bonheur de leurs artisans qu’ils représentent. »

Tom Gauld sera de retour l’an prochain avec une seconde compilation de ses meilleurs strips, dont le titre sera à n’en point douter aussi saugrenu que le précédent. D’ici là, Police lunaire a largement de quoi vous sustenter, car bien longtemps après avoir tourné la dernière page, le spleen et une incontrôlable envie de rigoler vous habiteront.

Photo : © Jessica Nerstrand

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