On a tous déjà vu cette photo noir et blanc où onze ouvriers – ces constructeurs de gratte-ciel – sont suspendus au-dessus du vide de New York, bien assis sur une poutre de métal, casquette vissée sur la tête et boîte à lunch sur les genoux. Cette photo, ce fut le flash, le détonateur pour Mikaël, qui, depuis sa toute première visite à New York, avait en tête l’idée de faire de cette ville l’héroïne d’une BD. Ainsi a donc éclos Giant, l’histoire d’une usurpation bienveillante d’identité dans le milieu des « skyboys » de la Grosse Pomme. Le tout en 1932.

Mikaël lance le grand coup de canon de la rentrée avec cette chronique humaine en deux volets, mettant au cœur de son récit la vie des monteurs d’acier du Rockefeller Center de New York. Et le résultat est impeccable : « C’est une BD de vision d’auteur, avec une facture mainstream », nous dit-il. Mais c’est plus que cela. C’est 54 pages de cases à couper le souffle, où l’on aperçoit autant la hauteur impressionnante d’un New York qui se construit que la misère laissée par la crise des années 30. C’est l’histoire touchante, à hauteur d’homme, de ces immigrants – « célibataires géographiques » – qui viennent mettre leur vie en jeu à des altitudes inimaginables pour envoyer des sous à leur famille. « Ceux qui construisent vraiment les villes, ce sont les immigrants. Même à l’heure actuelle. »

Pour échafauder son œuvre, Mikaël s’est rendu à New York, fasciné par la frénésie de ce lieu où e place n’est accordée à la demi-mesure. « C’était important pour moi de sentir la ville. » Il a ainsi eu un accès privilégié aux photos des archives du Rockefeller Center, dont plusieurs concernent les chantiers de construction et les ouvriers eux-mêmes. « Oui, il y a un côté vraisemblable grâce à ces photos, mais il ne faut pas être esclave de la documentation », nuance Mikaël. Ainsi, s’il s’inspire des corniches, des voitures, du style vestimentaire et des rivets d’époque, il ne recopie pas tout, ne reproduit pas, par exemple, les prises de vue. Et c’est là que tout le travail d’artiste prend forme. « Il faut que le lecteur y croie même si ce n’est pas vrai : il faut arriver à le mettre dans une atmosphère pour qu’il soit prêt à croire tout ce qu’on va lui présenter », fait remarquer l’auteur devant une bière irlandaise, joli clin d’œil à l’origine de son personnage principal.

Parlons-en, de Giant. Un colosse laconique et taciturne dont on ne sait rien. « J’avais besoin d’un personnage qui a connu un passé douloureux en Irlande. Giant n’est pas résilient, il n’a pas su rebondir en arrivant en Amérique. Il n’a pas eu la force mentale d’avancer. Donc, forcément, je me suis dit qu’il devait avoir une force physique démesurée pour contrebalancer. » Mais comment se fait-il qu’on s’attache autant à cet homme bourru, qui écrit des lettres en secret au nom d’un collègue décédé entre deux shifts de marteau pneumatique? « Les gros ours, ces montagnes, spontanément, on se dit que ce sont des gens fragiles à l’intérieur. Et on a de l’empathie pour eux. » Voilà qui explique pourquoi le mois de janvier nous semble trop loin avant de lire le second volet de ce diptyque…

Photo : © Mikaël

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