Français d’origine installé à Québec depuis déjà dix ans, celui qui signe d’un simple Mikaël ses œuvres a su tracer un sillon dans la production contemporaine du neuvième art jusqu’à y faire sa place. Entrez dans l’univers d’un autodidacte qui, sans cesse, peaufine son trait, sa vision et son talent.

Qu’est-ce qui vous attire dans la ville de New York et dans les années 30, lieu et époque de votre diptyque « Giant »?
La ville de New York me fascine depuis l’enfance, c’est l’icône du rêve américain. Une idée fortement véhiculée dans la culture française dans laquelle j’ai grandi. New York, c’est le gigantisme, la démesure d’une ville qui ne dort jamais. C’est un carrefour humain où se côtoient tant de cultures, de religions, d’ethnies, une ville à l’énergie palpable qui nous pousse toujours vers l’avant, toujours plus vite, toujours plus haut.

Quant aux années 30, pour tout dire, j’ai redécouvert cette période en faisant mes recherches pour l’écriture de Giant. Ce qu’il m’en restait avant cela n’était que des bribes de cours d’histoire du secondaire (Roosevelt, le New Deal…) et Les raisins de la colère de Steinbeck. Mes recherches m’ont permis de comprendre mieux cette décennie et surtout de voir à quel point elle est encore très proche de nous. Ainsi, à travers le prisme de ces années-là, de ce contexte historique très marqué, je peux aborder des thèmes très contemporains et universels.

Le travail de quels bédéistes admirez-vous profondément?
Du côté franco-belge, le travail de Régis Loisel, d’Emmanuel Lepage et de François Boucq me fascine. Du côté japonais, il y a Jirô Taniguchi, et Sean Murphy aux USA. Mais il y en a tant d’autres…

Quelle importance accordez-vous à la lisibilité de vos images et de vos phylactères?
La lisibilité est l’un des objectifs de la narration. Si le lecteur ne comprend pas ce qu’on veut lui raconter, on a perdu. Donc chaque case doit avoir une mise en scène claire pour une lecture de l’image et du dialogue optimale. Les phylactères guident l’œil du lecteur tout comme l’orientation du dessin. Mais aussi, chaque case dans la planche doit s’organiser par rapport à la précédente et la suivante. L’œil du lecteur doit ainsi glisser d’une case à l’autre en lisant le dessin et le dialogue contenu dans le phylactère. Et comme le lecteur découvre la page dans son ensemble avant de s’attarder à la lecture de la première case, il est essentiel que l’architecture de la planche au complet soit harmonieuse et invite le lecteur à s’y plonger. On peut même pousser ce raisonnement à la double page.


En tant qu’autodidacte, quel a été le plus grand défi que vous ayez eu à relever?
Il y en a tellement (rires). La bande dessinée est un art qui demande tellement de compétences : écriture, technique de dessin, mise en scène, mise en page, éclairage, costumes, décors, coiffures, jeu d’acteurs, etc. On s’attarde trop souvent sur le dessin quand on débute, mais en BD, c’est la narration qui, avec le scénario, est le plus important. Le dessin, c’est la couche de vernis qui rend le tout joli. Mais c’est aussi ce qui attire le lecteur… Tout cela, j’ai mis pas mal d’années à le comprendre, si je n’avais pas été autodidacte, on me l’aurait fait comprendre peut-être plus vite en école de BD ou autre école d’art. Mais au final, ce qui est important, c’est de trouver sa propre signature, graphique et narrative, d’arriver au but que l’on s’est fixé.

Vous avez fait vos premières armes dans le milieu de la bande dessinée avec des ouvrages destinés à la jeunesse. Qu’aimez-vous de ce public, qu’appréciez-vous dans les dessins destinés aux enfants?
Je suis allé tout naturellement vers ce genre au début de ma carrière, car je ne connaissais que les BD classiques destinées à la jeunesse. Ce n’est que par la suite que j’ai découvert tout l’éventail des récits possibles qu’offrait la BD. Je me suis alors tout doucement laissé glisser vers des récits plus adultes. Peut-être aussi que j’ai grandi depuis (rires).

À quoi ressemble votre bureau de travail?
Ce n’est pas très grand : une table pour poser une tablette graphique de 27 pouces et un ordinateur portable. Quelques étagères pour mes livres de référence (graphiques, scénario, documentation, BD de mes « maîtres »). Et devant moi, un grand babillard où je fixe des feuilles de mes personnages dans différentes positions. Pour toujours les avoir sous les yeux. C’est l’avantage de tout réaliser en numérique : plus besoin de papier, d’imprimantes, de pot de peinture et d’encre de toutes sortes. Donc 2 à 3 mètres carrés suffisent, pas besoin d’avoir un loft complet!

Vous avez illustré les scénarios de Thierry Lamy pour la série « Promise », aux éditions Glénat. De quelle façon vous appropriez-vous le texte d’un autre pour le mettre en image?
Le but est de servir au mieux le scénario, de recréer en image l’intention du scénariste. « Promise » est un récit d’horreur, un western fantastique. Ce n’est pas mon genre de prédilection, mais je me suis pris au jeu. À chaque scène, je me posais la question : comment rendre au mieux l’angoisse, l’horreur de la situation, l’emprise d’un personnage sur un autre, etc. C’est comme ça qu’on arrive à trouver des nouveaux « trucs » visuels et que l’on met en place toute une grammaire et un vocabulaire pour raconter en image du mieux possible. Il faut toujours être au service du scénario, pour le transcender.

Pour la présente couverture de la revue Les libraires, vous avez mis un vieil homme qui fait la lecture à des adolescents. Qui est cet homme?
En fait, je laisse le soin au lecteur d’imaginer qui est cet homme, c’est le propre d’une illustration, de laisser libre cours à l’imagination, non? Par contre, les jeunes autour de lui sont des bootblacks, des cireurs de chaussures de New York, et là c’est clairement un clin d’œil au nouveau double album que je prépare en ce moment et qui s’appellera « Bootblack ». Cela sortira en 2019 chez Dargaud. Le seul jeune qui est de face, avec sa casquette, c’est le personnage principal de cette nouvelle histoire, il s’appelle Al.

Vous demeurez au Québec, mais vous êtes fréquemment amené à voyager en Europe pour y faire la promotion de vos bandes dessinées. Comment aimez-vous l’expérience d’avoir un public « international »?
Le monde de la BD en Europe est très différent de celui du Québec. Par exemple, en France et en Belgique, il y a de très nombreux festivals BD. Il y a beaucoup de librairies spécialisées et de presse spécialisée (papier, radio, web). Les lecteurs et les journalistes sont très exigeants. La BD a dépassé là-bas depuis les années 90 le stéréotype de la « sous-littérature pour enfants ». Ce n’est plus que Tintin et Astérix, c’est aussi des récits de fiction, jeunesse, documentaire, vulgarisation scientifique, autobiographie, etc. Il y a donc là-bas une véritable industrie de la BD, ce qui rend ces déplacements très intenses et très riches.

Sur quel projet travaillez-vous?
Je continue ma série sur le New York des années 30-40. Une série de plusieurs histoires, chaque fois de deux tomes. « Giant » était la première histoire, « Bootblack » la seconde. J’ai la troisième histoire en préparation. Et ensuite, on verra bien. J’ai pour l’instant au moins quatre ans de travail devant moi!

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