Michel Rabagliati: Irrésistible Paul

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Après deux ans et demi d'attente, Michel Rabagliati nous revient avec la septième aventure de son alter ego, Paul. Sur fond de crise d'Octobre et de scoutisme, ce nouvel épisode nous plonge en plein coeur de l'enfance. Empoignez votre cerfvolant, vos espadrilles et l'enthousiasme de votre jeunesse… Destination : le parc!

« Je trouvais que Paul à la campagne c’était trop court pour résumer la jeunesse de Paul. J’avais envie d’aller plus loin, d’aller fouiller dans les recoins de son enfance », explique le créateur de ce sympathique personnage que nos cousins du Vieux Continent ont amicalement surnommé le « Tintin québécois ». Paul au parc se déroule donc avant les quelque 48 pages qui composent Paul à la campagne. Du haut de ses 10 ans, Paul arpente son quartier, maquillé à plusieurs endroits de graffitis politiques. Ça sent l’automne… 70. Il flâne au parc, seul, mais pas malheureux pour autant. « Quand j’étais jeune, j’étais un petit gars à blondes. J’étais plus intéressé par les filles que par le sport. Je n’avais pas beaucoup d’amis, mais c’était correct comme ça ». Bien que ce soit ici Michel Rabagliati qui parle, les parallèles se dessinent entre son enfance et celle de Paul. Mais attention : « Tout n’est pas obligé de m’être arrivé pour vrai. C’est ça le principe de l’autofiction », tient à préciser le bédéiste.

Tenez, un exemple : dans Paul au parc, notre petit héros joint les rangs des scouts en 1970, alors que le mouvement felquiste bat son plein. « Dans les faits, je suis rentré dans les scouts en 1971. J’ai donc décalé l’histoire d’une année pour pouvoir utiliser la crise d’Octobre comme trame de fond », avoue-t-il. Car, si la nouvelle aventure de Paul commence et se termine au parc, c’est essentiellement dans le mouvement scout qu’elle se développe. « Dans Paul au parc, j’ai voulu parler de mentorat, des personnes qui te guident dans la vie, autres que tes parents. Dans les scouts, il y avait un don de soi que je trouvais vraiment beau. Aujourd’hui, on voit rarement ça, des gars de 19 ou 20 ans qui s’occupent d’autres jeunes gratuitement et surtout sans arrièrepensées. » En effet, dans l’histoire, un des moniteurs passe beaucoup de temps avec Paul. Il l’initie à la musique, à la photo, au théâtre… À un certain moment, une idée sournoise s’immisce dans notre esprit (et dans celui de la mère de Paul) : et si le moniteur voulait abuser de son louveteau? Comme si à notre époque, une telle gentillesse et une telle générosité cachaient forcément quelque chose. « J’ai fait exprès », sourit Rabagliati. « C’était une manière de dire : « C’est ce que vous pensiez? Eh bien, vous n’en aurez pas, de ça! » ». Vraiment, le souvenir que Michel Rabagliati garde de ces années passées dans les scouts est une implication sincère de la part de ces jeunes adultes. « Quand tu es enfant et que tu as la chance de vivre ça, c’est formidable », ajoute-t-il.

Le début d’une histoire d’amour… avec la BD
Cet été-là, Paul découvre donc les scouts, la musique, la photo et le théâtre. Or, plus important encore, il se découvre une passion pour la bande dessinée. On le voit courir chez le Polonais, au coin de la rue, pour s’acheter le dernier numéro de Spirou et s’émerveiller devant le talent de Franquin. Puis, lors d’une sortie à la bibliothèque, il tombe nez à nez avec Comment on devient créateur de bandes dessinées. Ce petit livre devient une véritable révélation pour le jeune garçon : « Je suis réellement tombé sur ce livre à la bibliothèque. Ça racontait exactement comment on fait de la bande dessinée. On voyait des photos de Franquin en train de dessiner… » Pendant qu’il raconte cette découverte marquante, Rabagliati se lève pour aller chercher l’ouvrage en question. « Aujourd’hui, il est introuvable », explique-t-il. Par chance, l’illustrateur Normand Cousineau a accepté de lui prêter son exemplaire, pour les besoins de Paul au parc.

C’est donc à cette époque que commence la carrière de bédéiste? « En fait, avant « Paul » j’avais peut-être fait huit planches. Quand tu es jeune, tu ne veux pas entendre parler de scénario, de mise en scène… Alors, ça part dans tous les sens et tu te gazes vite ». Il a donc fallu quelques années supplémentaires avant que le petit gars du quartier Rosemont devienne l’auteur de romans graphiques qu’on connaît aujourd’hui. Car, bien que bédéiste, l’homme derrière les aventures de Paul se considère d’abord et avant tout comme un auteur : « Les beaux dessins, ça ne m’impressionne pas, avoue-t-il. C’est sûr que c’est plaisant, mais faire de la bande dessinée c’est aussi être écrivain. » Ce que Rabagliati aime pardessus tout, c’est donc raconter des histoires. « Quand les gens viennent me voir, je leur demande s’ils ont aimé l’histoire. Je ne leur demande jamais s’ils ont aimé le dessin. J’ai d’ailleurs un système graphique assez simple et c’est aussi pour ne pas m’écoeurer. Je ne fais pas de beaux pantalons, de reflets dans les cheveux… C’est la même chose pour la couleur. Je me demande : est-ce que ça ajouterait quelque chose à l’histoire? Non? Alors, ça ne me sert à rien. »

Puisqu’il aime tant raconter des histoires, envisage-t-il un jour de devenir scénariste pour un autre dessinateur? « Non. Je ferais plus un roman. Mais la seule chose qui pourrait faire en sorte que j’arrête de dessiner, ça serait une tendinite ou quelque chose comme ça », confie-t-il. « En littérature, c’est plus dur de te démarquer. Avec le roman graphique, j’occupe un créneau pratiquement inoccupé au Québec. »

Michel Rabagliati a effectivement trouvé sa place, dans le petit monde de la bande dessinée québécoise. Ces histoires simples et pourtant émouvantes ont même traversé nos frontières, en témoigne le prix du public qu’il a remporté au festival de bande dessinée d’Angoulême l’année dernière. Cette fois encore, il parvient à nous chavirer, au détour d’une planche enjouée. Pour ne pas saborder votre futur plaisir de lecture, nous tairons ici la chute inattendue de Paul au parc. Sachez néanmoins que l’auteur a affiné son talent et que vous en resterez probablement sans voix, bouleversé, ému.

Et pour la suite?
Que les nombreux lecteurs de « Paul » se rassurent : cette septième aventure ne sera pas la dernière. « Oui, des fois j’ai envie de faire autre chose. J’aurais envie de faire un personnage plus méchant, de faire quelque chose de plus provocateur, de plus weird. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir fait le tour de Paul », confie-t-il. Il envisage peut-être de retrouver son personnage fétiche, alors que celui-ci aurait environ 16 ans. Tout est à définir. Il évoque aussi la possibilité de se laisser tenter par une bande dessinée 100% autobiographique, dans laquelle il raconterait ce qu’il vit au quotidien, lui Michel Rabagliati, à 50 ans. Mais, prévient-il, « peut-être qu’à un moment donné je vais devoir créer un autre personnage. Peut-être que Paul est trop fin, peut-être qu’il est trop moi ».

Bibliographie :
PAUL AU PARC, La pastèque, 144 p. | 24,95$

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