Dans le diptyque L’esprit du camp de Michel Falardeau, on retrouve l’ambiance très spécifique d’un camp d’été : des moniteurs adolescents qui ont tous une personnalité bien trempée – et qui l’imposent d’ailleurs aux jeunes! –, des enfants turbulents dont une tribu de rouquines finalement adorables, des relations amicales, amoureuses ou ambiguës entre moniteurs. Mais il y a aussi une étrange lumière la nuit, une légende sur un esprit de la forêt et une bête blessée qui rôde dans les bois. Sans précipiter les péripéties, Falardeau prend le temps de s’attarder à la psychologie de ses personnages et offre ainsi une œuvre des plus réjouissantes, qui sera d’ailleurs traduite en anglais dès l’an prochain.

Qu’est-ce qui vous attirait dans le décor et dans la richesse narrative qu’offrait le camp d’été, théâtre de votre histoire?
Je choisis pratiquement tous les éléments de mes histoires de façon intuitive. Ça, mélangé à une sorte de mathématique scénaristique dont seul moi comprends le sens (s’il y en a un). Donc, après avoir écrit trois réponses différentes à moitié vraies pour ensuite les effacer, je dirais simplement que la forêt est le lieu qui m’inspire le plus. S’il y a un endroit où la magie existe encore, c’est bien là. On rajoute à ça des jeunes sans parents aux alentours et on a les ingrédients parfaits pour passer un été formidable et croustillant en anecdotes.

Le réalisme et le fantastique se côtoient en grande harmonie dans votre livre sans que jamais l’un ne vienne empiéter sur l’autre. Comment aimez-vous user de ces deux styles?
Le jour est associé à la vie normale de camp, tandis que la nuit, une vieille légende refait surface. L’inverse serait déstabilisant – un esprit qui sort de sa torpeur lorsque le soleil est à son zénith, c’est pas ben-ben épeurant. Vu que L’esprit du camp ne se passe pas dans un univers plongé dans le fantastique, je dois le doser avec précaution. Trop en montrer briserait la magie. Donc, la nuit on baigne dans le fantastique et l’appréhension. À l’aube, Élodie fait un retour sur les événements dans son journal. Pendant la journée, j’alterne entre des gags et des indices sur le mystère. Au crépuscule, je crée une nouvelle tension et on recommence le cycle. Parlant de magie, je viens-tu de la scraper?

Le directeur du camp est un drôle d’énergumène, dans ses goûts comme dans ses activités nocturnes. D’où vient l’inspiration pour ce personnage? 
Je me suis aperçu récemment que c’est un archétype que je répète depuis mes débuts en bande dessinée. Un gentil fou/marginal d’une cinquantaine d’années, qui porte des lunettes aux verres opaques et qui cache un terrible secret. Si on y pense, le directeur est la représentation humaine de mon univers. Drôle, aimable et loufoque de jour, sombre, mystérieux et inquiétant de nuit. On retrouve ce genre d’excentrique dans les BD de Fred, dont j’étais fanatique enfant. Sinon, c’est un archétype récurrent dans beaucoup de mangas. Ça vient peut-être de là.

Pourquoi avoir campé votre histoire à l’époque de l’été 1994 précisément?
1994, c’était le cœur de mon adolescence, juste avant la fin des belles années du grunge. Je me souviens du feeling de grandir en région éloignée, sans Internet ni cellulaire. Le temps semblait aller moins vite et il y avait ce sentiment d’isolement. Je prenais mon vélo et partais dans le chemin de terre vers le village pour voir s’il y avait du monde en vie. Y avait jamais de gros plans prévus d’avance et t’étais au courant de rien. Parfois, un début d’aventure se pointait le nez, d’autres fois, tu finissais bredouille à boire une slush dans les marches du dépanneur. J’imagine que c’est un peu un hommage à ces belles années. Et c’est plate d’écrire et de dessiner des conversations par texto!

 

Illustration : © Michel Falardeau

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