Manu Larcenet : L’art de brouiller les pistes

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Par les temps qui courent, la vie est belle pour Manu Larcenet. En quelques années, le dessinateur de 35 ans a multiplié les projets dans le magazine Fluide Glacial, ajouté sa touche personnelle à la saga «Donjon» (Delcourt) et contribué au succès de la collection «Poisson Pilote» (Dargaud). Il s'est ainsi forgé une réputation enviable sans jamais sacrifier, au nom de la rentabilité, une once d'un style de plus en plus raffiné.

D’emblée, c’est l’intégrité artistique et l’extraordinaire souplesse de son trait qui frappent. Larcenet illustre aussi bien une histoire burlesque (la série «Une aventure rocambolesque de…»), un récit de science-fiction (la série «Les Cosmonautes du futur», sur un scénario de Trondheim) ou radicalement réaliste (Le Combat ordinaire, son chef-d’œuvre selon plusieurs). Éternel culotté, le bédéiste écrivait l’an dernier sur la page d’accueil de son site Web : «J’ai un maximum de pognon sur mon Livret A, les femmes se pendent à mon cou dans les soirées mondaines et je n’ai jamais autant pris de cocaïne que ces derniers temps.» Ces mots résument bien la philosophie de Manu Larcenet, qui se plaît à brouiller les pistes, jongler avec l’ironie et les faux-semblants, en plus d’envoyer promener les conventions pour se concentrer sur le pur plaisir qu’offre la création : «Quand on fait de l’humour, on souffre souvent parce qu’on est rarement reconnu en tant qu’artiste. En gros, on est reconnu comme vendeur ou branleur. Je n’étais ni l’un ni l’autre et j’étais rendu à un âge où j’avais envie d’être reconnu comme artiste et pas comme humoriste», affirme le bédéiste, qui se fait un point d’honneur à ne pas favoriser l’une ou l’autre voie.

Bill Baroud et al.

Justement, on ne s’attendait pas à ce que le père de Bill Baroud s’aventure dans la veine réaliste et nous ouvre les portes d’un univers que l’on croit être le sien, mais qui ne l’est jamais tout à fait. Ainsi, la série «Le Retour à la terre», scénarisée par Jean-Yves Ferri et n’entretenant que peu de liens avec sa vie personnelle, l’a «libéré du virus de la parodie contracté à Fluide Glacial.» Certes, le personnage central, un dessinateur nommé Manu, exilé dans une campagne hostile, a beaucoup de points en commun avec Larcenet. En effet, ce dernier, qui a tâté de l’autobiographie à travers une poignée d’albums publiés aux Éditions Rêveurs de runes, réaffirme avec empressement son indépendance vis-à-vis de la fiction : «Je martèle depuis le début de la série que ce n’est pas moi qui écrit. Je n’interviens jamais dans le scénario de Ferri. D’accord, c’est ma tête parce que ça correspondait bien à ma vie, mais ça aurait très bien pu être autre chose.» Idem pour Le Combat ordinaire, dans lequel on rencontre Marco, un photographe aux prises avec des démons intérieurs qui l’amènent à s’interroger sur son travail, ses amours : «Dans tout ce que je prête au personnage, il y a à peine 10 % de moi. Il y a évidemment des choses qui me sont plus personnelles, comme les angoisses, la psychanalyse et toute ces conneries-là, mais il ne réagit pas comme moi. Déjà que raconter sa vie, c’est difficile, alors imaginer celle des autres…»

Les fidèles l’auront remarqué, Larcenet envisage maintenant son œuvre avec plus de confiance : «On m’a souvent dit que mon dessin n’était pas adapté au scénario. Ça ne m’atteint pas. Je préfère être surpris par le trait qu’agréablement conforté dans un genre.» Et pour le reste des projets, le bédéiste dit ne rien prévoir à l’avance, préférant obéir à ce qu’il voit émerger au fil des jours sur sa table à dessin : «Les derniers livres sont plus en accord avec le fait que je ne cherche plus à prouver quoi que ce soit à personne, mais plutôt à être en accord avec mon moi vieillissant. Je ne regrette pas la hargne que j’avais avant. J’espère que mes livres reflètent un peu ce que je suis. Juste un petit peu.»

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