À l’été 1999, alors qu’il a presque 30 ans, Fadi Malek quitte son Liban natal et atterrit à Montréal. Il passe une jeunesse tumultueuse marquée par la guerre civile qui mettra le pays à feu et à sang. Quand le bruit des bombes se fait entendre, les gens se réfugient à la cave en espérant que leur maison soit épargnée. C’est aussi à ce moment que l’adolescent se rend compte de son attirance pour les hommes. Il sait que sa famille et sa culture, très à cheval sur les conventions, ne sont pas prêtes à l’accueillir tel qu’il est. Après s’être inventé quelques béguins pour des filles et avoir obtenu un diplôme en architecture pour encore là satisfaire les attentes de ses proches, il décide d’embarquer dans un avion et d’enfin commencer sa vie.

C’est à L’Étincelle, un petit café situé dans le quartier de La Petite-Patrie et où, de l’aveu des propriétaires, il fait bon « ralentir, s’ennuyer, rêver », que Fadi Malek rencontre l’illustratrice Anne Villeneuve. Elle est en train de dessiner et au détour d’un heureux commentaire qu’il fait à propos de ce qu’elle crayonne, ils font peu à peu connaissance. Au fil des conversations et de l’ouverture qu’elle lui témoigne, il finit par laisser tomber sa réserve et raconte ce qui l’a amené à s’installer au Québec. La calamité de la guerre et de ses contrecoups, ses études, ainsi que son boulot dans un domaine qui ne lui a jamais plu, puis les matins quand, par le volet de sa maison, il regarde les prolétaires descendre du train, et le clin d’œil d’un des ouvriers qui l’émeut et le perturbe.

La femme qui dessine lui propose de mettre tout ça en mots et en images, et à œuvrer ensemble à la création d’un fanzine, qui deviendra en définitive l’album La fin du commencement. « Travailler avec Anne a permis d’alléger mes craintes, de retrouver le courage pour revisiter un passé où les souvenirs sont ou perdus ou sciemment oubliés », explique-t-il. Chaque jour, par bribes désordonnées, il confie à la page les événements qui ressurgissent de sa mémoire et qui, par un effet de cascade, lui rappellent d’autres moments enfouis. Plus tard, les morceaux se placeront pour entraîner le lecteur dans des allers-retours entre Montréal, Darna et Beyrouth, l’absorbant dans une histoire qui au-delà du périple est avant tout affaire de rédemption.

Revenir de loin
Dès qu’il pose un pied en sol canadien, Fadi Malek a l’impression de respirer pour la première fois. Même s’il est seul, même s’il y aura des embûches. « L’urgence de me reconstruire a de loin éclipsé toute autre considération, affirme-t-il. Ni la nouvelle culture dépaysante, ni l’hiver arctique et la chaussée glissante, rien ne me décourageait! Je venais d’avoir une deuxième chance. Et si je cours, toujours, c’est avec enthousiasme, pour avancer, plutôt que pour continuer à fuir. » Quatre ans après son entrée en Amérique, il réussit à le dire à quelqu’un, ou plutôt à l’écrire. Au cours d’un souper avec un voisin, pour expliquer qu’il n’attend pas la venue de sa fiancée, il lui tend un carton d’allumettes sur lequel il a inscrit « je suis homo ». Cet aveu est pour lui un véritable acte de résistance; il venait de se délester de trente années de mensonges.

L’écriture de La fin du commencement participe à cette délivrance qui lui permet la pleine reconnaissance de ce qu’il est profondément. Elle annonce la mise au monde publique de ce qu’il s’est acharné à taire et à cacher pendant si longtemps. La concrétisation de ce livre, maintenant que Fadi Malek a plus de 50 ans, représente pour lui « la preuve que la richesse d’une vie se construit aussi par les blocs qui entravent notre chemin ». Cela renforce sa croyance qu’il y a toujours lieu d’espérer, que dans les périodes sombres la lumière peut très bien se trouver au prochain carrefour. « Devant mon personnage, désormais, je souris, déclare-t-il. Le lecteur en moi est tendre et candide face à des souvenirs qu’il voulait auparavant à tout prix oublier. »

Face au Liban, Fadi Malek demeure un être en exil. Là-bas, l’homosexualité est encore aujourd’hui considérée comme un crime au regard de la loi. Quelques individus ou groupuscules osent parfois des sorties de placard, mais elles se concluent souvent par des répressions de la part des autorités. « C’est un pays où les valeurs conservatrices restent bien enracinées, explique l’auteur. Les conséquences dévastatrices de la guerre et, récemment, du désastre économique ont davantage entravé la marche de l’évolution sociale. » En souhaitant des temps plus cléments, sur un autre continent, un homme entre dans un café et y conquiert sa liberté.

Portrait de Fadi Malek : © Anne Villeneuve
Extrait tiré du livre La fin du commencement (Nouvelle adresse) : © Fadi Malek et Anne Villeneuve

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