Arthur De Pins: En avant, marche!

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Encore en deuil du génial triptyque La marche du crabe, dont l’ultime tome est paru en début d’année, nous constatons que le bédéiste Arthur de Pins ne nous aura pas délaissés trop longtemps. En effet, les premières pages du troisième tome de sa non moins géniale série « Zombillénium » ont commencé à circuler dans le Journal de Spirou, pour notre plus grand bonheur. Rencontre avec un auteur et dessinateur éminemment sympathique dont le talent et la diversité ne cessent de nous étonner.

Dans votre carrière de bédéiste, vous avez exploré plusieurs genres. Comment passe-t-on des histoires coquines et très urbaines de la série « Péchés Mignons » aux tribulations d’une panoplie de montres de « Zombillénium » et à la fable à teneur sociologique et même philosophique de « La marche du crabe »?
Disons que ces séries ne sont pas parues dans l’ordre où les sujets m’ont intéressé. En résumant grossièrement, je dirais que mes trois séries correspondent chacune à une période de ma vie : l’enfance pour « Zombillénium », l’adolescence pour « Péchés Mignons » et l’âge adulte pour les « Crabes ».

Un des dénominateurs communs de vos bandes dessinées est de ne pas raconter l’histoire d’un seul personnage, mais bien d’en mettre plusieurs à l’avant-plan. Est-ce un choix délibéré?
Bien sûr. Pour « Zombillénium », les personnages forment une famille recomposée face à l’adversité. Dans les « Crabes », bien qu’il y ait des héros, l’histoire traite d’un groupe, d’une population. À l’instar des Schtroumpfs, des Shadoks ou des Tanukis, ce n’est pas grave si le lecteur confond les crabes. L’histoire parle de l’effet de groupe et du destin de ce groupe.

Vous êtes reconnu pour votre dessin vectoriel élaboré grâce au logiciel Illustrator qui se caractérise, entre autres, par ses couleurs en aplat et l’absence du trait. Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce médium?
Le déclic a eu lieu au tournant des années 2000. Lorsque j’ai découvert le travail de Monsieur Z, pionnier du genre. Il faut savoir que mes influences ne se situent pas du tout dans la bande dessinée. Je dirais même que je suis un peu allergique au trait. Avec Illustrator, j’ai trouvé un moyen d’exprimer vraiment ce qui me passe par la tête. On ne réfléchit plus en traits, mais en formes de couleur. Ce logiciel est une véritable révolution!

Vous dites vouloir exprimer, avec « La marche du crabe », les grands mouvements qui ont mené le XXe siècle. Pouvez-vous développer?
Oui, les « Crabes » sont une fable sur la bêtise humaine et sur la norme, comme peut l’être La ferme des animaux d’Orwell. Au travers de leur incapacité à tourner, les crabes passent par différents stades : d’abord l’inquisition, ensuite la révolution des mœurs, puis l’individualisme. Ce sont les bouleversements qui ont jalonné le XXe siècle : dogme, mai 68, ultralibéralisme. Dans les « Crabes », certains parmi les révolutionnaires deviennent les nouveaux dictateurs, à l’instar des révolutions française, russe, cubaine… et des cochons dans l’œuvre de George Orwell.

Vous dites aussi vous être inspiré de gens de votre entourage pour certains personnages de « Zombillénium ». En est-il de même pour « La marche du crabe »?
Contrairement à « Zombillénium », je ne me suis pas inspiré de personnes, mais de façons de penser. Lorsque j’étais ado, dans la période où, typiquement on cherche un peu sa route, un ami de l’époque m’avait dit ceci : « Tu devrais arrêter de te poser des questions sinon tu vas tourner en rond. Dans la vie, il faut aller droit devant soi. » Vingt ans plus tard, je trouve toujours cette phrase complètement débile, mais il m’arrive parfois de me demander s’il n’avait pas un peu raison. Bref, cette façon de penser est représentée par les crabes « rigides », ceux avec les croix sur la carapace, dans le tome 2. Je peux en tout cas vous dire le personnage que je suis, moi : Bateau.

Dans les trois tomes de « La marche du crabe », on peut sentir certaines références graphiques à des œuvres connues, telles que des affiches de propagande ou des tableaux d’Andy Warhol. Effectuez-vous une recherche visuelle en préparation de vos bandes dessinées?
Oui, l’aspect graphique est très important. Pour les « Crabes », j’ai effectué des recherches sur le graphisme des années 60-70 et en deçà. Au-delà de l’aspect esthétique rétro, il me fallait de vraies références au XXe siècle (comme expliqué dans la question plus haut) pour parler de sujets comme la norme et la conscience de masse.

Quelles sont vos principales influences pour votre travail?
J’en ai beaucoup. Pour l’aspect scénaristique, cela peut aller d’Alexandre Dumas à Lost, en passant par le photographe Fastenaekens. Pour l’aspect graphique, j’ai UNE référence absolue : le dessinateur Edmond Kiraz. Cet illustrateur est surtout connu pour ses dessins de playmates ou de Parisiennes. Pour moi, c’est un génie sur tous les plans. Même un trottoir mouillé par la pluie, dessiné par lui, est un chef-d’œuvre.

« La marche du crabe » a d’abord été un court-métrage puis un projet de long-métrage qui, à défaut de financement, est devenu une bande dessinée en trois tomes. Caressez-vous d’autres projets de films d’animation?
J’espère toujours faire un jour le long-métrage des « Crabes ». Mais pour l’heure, c’est « Zombillénium » qui est en train d’être adapté en long-métrage d’animation. Le développement est quasiment terminé et la production devrait démarrer à la fin de l’année 2013.

Êtes-vous un grand consommateur de bandes dessinées?
Pas vraiment. Surtout parce que la BD, à l’époque où j’étais étudiant, était très mal vue par mes profs, qui nous incitaient à trouver une nourriture intellectuelle dans d’autres domaines (ils n’avaient pas tout à fait tort, d’ailleurs). Mais depuis que je suis « dans le milieu », je découvre sans cesse des perles. Notamment en provenance du Québec (où la BD n’est pas une industrie comme ici), avec des auteurs comme Jimmy Beaulieu, Francis Desharnais.

Quelle est la dernière bande dessinée que vous ayez lue?
… Que j’ai RElue : « Belleville Story », d’Arnaud Malherbe et Vincent Perriot. Un diptyque d’une grande classe! Dessin parfait, scénario impeccable. C’est un polar qui réussit à être touchant.

En terminant, dans « Zombillénium », les personnages principaux sont des monstres condamnés à travailler pour l’éternité dans un parc d’attractions, dont la structure est semblable à celle de la vie en entreprise, et dans « La marche du crabe », le crabe carré évolue, sa vie durant, sur la même trajectoire rectiligne. Selon vous, de ces deux destins, lequel est le pire?
Ahah! Autant choisir entre la peste et le choléra! Je choisirais plutôt le destin des crabes, en sachant qu’il est possible de changer les choses. Quoique dans « Zombillénium »… Mais chut! Je n’en dis pas plus.

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