Le réalisateur québécois Philippe Falardeau (C’est pas moi, je le jure!, Monsieur Lazhar) adapte au grand écran Mon année Salinger, les mémoires étonnamment drôles et divertissants de Joanna Smith Rakoff. On plonge ainsi dans un New York de la fin des années 90, aux côtés d’une jeune diplômée tout juste engagée dans une agence littéraire de renom qui représente, entre autres, J. D. Salinger. Choisi comme film d’ouverture du Festival international du film de Berlin et acquis pour diffusion dans plus de trente pays, ce film remuera la fibre littéraire de ceux qui ont un jour rêvé de toucher de près à ce milieu.

Avis aux amateurs de l’auteur de The Catcher in the Rye : le film — ni le livre d’ailleurs — ne tourne autour de Salinger. « Le titre est d’ailleurs trompeur », nous avoue, au bout du fil, Philippe Falardeau. L’œuvre présente plutôt la vie, au quotidien, d’une aspirante écrivaine (Joanna, incarnée par l’excellente Margaret Qualley) qui devient secrétaire pour une patronne sévère, jouée par Sigourney Weaver, laquelle a conservé les méthodes de travail qui ont fait la gloire de ses belles années. « La véritable agence se trouvait sur Madison Avenue; elle a été décrite dans le livre de Joanna comme un lieu figé dans le temps, une sorte de pays des merveilles. C’était l’une des plus anciennes agences littéraires, et apparemment elle avait conservé une grande partie de son charme d’antan », explique Falardeau. Ainsi, les employés travaillent encore avec des machines à écrire — il leur est interdit d’utiliser des ordinateurs, même si nous sommes en 1996, aux États-Unis.

Le travail de Joanna consiste donc à retaper à la machine, inlassablement, la même lettre générique qu’elle envoie ensuite aux milliers d’admirateurs qui écrivent à Salinger, plus de trente ans après la parution de son dernier livre. La jeune Joanna, qui est notamment une grande lectrice de poésie, a beau travailler pour l’agence représentant cet auteur renommé, elle n’a jamais ouvert un livre signé par Salinger. C’était aussi le cas du réalisateur, qui nous explique avoir lu The Catcher in the Rye seulement à la mi-parcours de la scénarisation. « J’étais comme Joanna, je connaissais ce roman de nom, mais c’est tout. J’ai beaucoup aimé, et j’ai eu la même réaction que Joanna : ce n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais. Ce n’était pas le roman pour ados qu’on m’avait vendu. Je crois que les gens font souvent l’erreur — surtout aux États-Unis où c’est une lecture mise à l’étude qu’on propose aux ados. Plutôt que la vision rebelle, j’ai perçu un livre sur la maladie mentale et la dépression, un sujet dont à l’époque on ne discutait d’ailleurs pas aussi ouvertement qu’aujourd’hui. »

Et qu’en est-il de la présence de Salinger? « Ça représentait un problème de fond : qu’est-ce que je faisais de ce personnage, qui n’est ni l’objet du film ni des mémoires de Joanna. On devait garder son aura intacte, tout en faisant en sorte que le personnage ne cannibalise pas tout le film. » En résulte donc un personnage presque fantomatique, pour lequel Falardeau s’en est tenu à « taquiner l’auditoire », comme il le dit, le présentant même comme un grand-père qui veut jaser de météo. Salinger donnera tout de même un conseil à Joanna : écrire, écrire tous les jours si elle se dit écrivaine.

Du livre au film
C’est en allant fureter à la librairie, alors qu’il attendait la projection d’un film au cinéma, que Falardeau a mis la main sur le livre de Joanna Smith Rakoff. « J’avais l’habitude de fouiller un peu inconsciemment pour des livres écrits par des femmes ou sur des femmes, dans le but non avoué de trouver quelque chose pour mon prochain film, même si l’acte n’était pas aussi clair et délibéré que ça. » C’est d’abord le titre du livre qui l’a attiré, puis la quatrième de couverture a confirmé son désir de s’y plonger : « Ça parlait d’un âge incertain où on devient adulte, où on cherche ce qu’on va faire dans la vie, où l’on plonge dans des univers professionnels qui semblent nous dépasser un peu alors que toutes les possibilités s’offrent à nous sans que nous en soyons encore conscients. » S’en est suivi l’achat de droits, et le tutti quanti pour mener à bien le projet. « Dans un travail d’adaptation, il faut inventer des scènes qui n’existent pas, créer une trame narrative qui n’existe pas nécessairement dans le livre, fusionner des personnages. » L’auteure — puisqu’il s’agissait de sa vie, après tout! — a suivi le processus de scénarisation, lu plusieurs de ses brouillons. Elle aimait la fiction qu’ajoutait Falardeau à son œuvre. Elle a aussi été d’une aide précieuse pour Falardeau, lorsqu’est venu le temps de travailler les dialogues — elle a pu s’assurer qu’ils représentaient ceux des années 90, de ce milieu social new-yorkais. Car le film, en version originale, est tourné en anglais : « C’était impensable de faire ça en français, car l’histoire se passe à New York. » Cependant, grâce à la magie du cinéma, le tout a été tourné en majorité à Montréal, et l’auditeur n’y verra que du feu. Joanna Smith Rakoff est venue passer deux jours sur le plateau et, à ses dires, le tout l’a totalement replongée dans cette époque de sa vie!

« J’espère que ça tournera les projecteurs vers le livre, qui est très intéressant, très drôle, et qui explore beaucoup plus de dimensions que le film », exprime Falardeau. Si le film se concentre sur le processus créatif et commercial, le dépeignant comme étant à la fois nécessaire et complémentaire, le livre explore d’autres facettes, dont les questions entourant l’ambition, la célébrité et la vie privée. On a lu le livre, on a vu le film : on vous le confirme, les deux œuvres méritent votre attention!

Au cinéma depuis le 5 mars.


Photo de Philippe Falardeau : © Julie Artacho

Photos tirées du film : © Philippe Bossé (la première), Sara Mishara (les photos suivantes)

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